156 REVUE DES DEUX MONDES. mes jeunes beaux-frères et belles-soeurs, et de deux gouvernantes dans ce vieux château alors en ruines et que, depuis lors, mon beau-père a fait reconstruire avec luxe. — Mon beau-frère l'a aujourd'hui mis en vente. Chaque courrier nous apportait d'affreux détails, d'abord les circonstances du crime, puis la maladie du criminel dans laquelle on ne tarda pas à reconnaître le caractère d'un empoisonnement, puis le commencement du procès qui devait avoir lieu à la Chambre des pairs, si la mort n'avait dispensé d'une si horrible nécessité. 11 ne fut pas, un mois durant, question d'autre chose en France et même en Europe, et comme on devait s'y attendre, la politique ne demeura pas longtemps étrangère aux commentaires de la presse. Un duc et pair assassin 1 quelle bonne fortune pour tous les ennemis de la société 1 Mais de plus, le duc était chevalier d'honneur de la Duchesse d'Orléans. Pour les républicains, quelle matière à déclamation sur la corruption des cours 1 Pour rendre le scandale plus grand, les journaux de cette nuance d'opposition ne manquèrent pas d'énumérer tous les parents, même éloignés, soit du meurtrier, soit même de la victime. Naturellement, je fus compris dans le nombre, quoique n'ayant aucun lien réel de parenté avec la famille. Plusieurs, mentionnés également à tort, crurent devoir réclamer. Je m'en abstins, ne voulant pas ajouter, par ce désaveu, au chagrin de ceux qui étaient réellement compromis. Il n'y a point de doute que cet attentat, si étranger à toute relation avec la situation politique, eut pourtant une réelle influence sur les événements qui allaient suivre. Ce fut comme un voile de tristesse et de deuil jeté sur toute la société. On vit encore ici combien l'esprit du peuple, quand il est une fois ému, s'abandonne à d'injustes et singuliers raisonnements• L'indignation légitime contre le mari et le père coupable aurait dû être mêlée de pitié pour la mère assassinée et les enfants orphelins. Nullement 1 tous étaient compris dans les mêmes imprécations. La foule qui stationnait à la porte de l'hôtel de la rue Saint-Honoré était également hostile à tout ce qui en passait le seuil. Quand le maréchal Sébastiani, absent le jour du crime, dut rentrer dans sa demeure désolée, il fallut protéger sa voiture par une garde de sergents de ville, et peu de jours après, ayant eu la mauvaise idée de sortir à pied avec |