146 REVUE DES DEUX MONDES. tion de ce genre portée contre un ministre d'hier, collègue des ministres du jour! Et, malheureusement, le fait était vrai. On eut quelque peine pourtant à en faire la preuve ; pour y arriver, il fallut employer un procédé assez semblable à la question d'autrefois : les cent mille francs en question ayant disparu de l'actif de la société concessionnaire, on dit à celui qu'on soupçonnait de les avoir donnés au ministre, M. Pellaprat : Si vous ne prouvez pas le don, c'est vous que nous condamnerons pour vol. J'ai entendu dire à des jurisconsultes que ce dilemme accusateur, véritable tenaille à deux branches, était contraire à toutes les règles de la procédure. N'importe, la Chambre des pairs tenait essentiellement à une découverte et à une condamnation qu'elle croyait utiles pour dégager les pouvoirs publics du reproche qui leur était fait; elle croyait que l'énergie de la répression ferait taire la calomnie. Et elle avait d'autant plus de motifs de le croire que dans toute l'administration on ne trouvait d'autres coupables que M. Teste lui-même. Il n'avait pu s'ouvrir de ses intentions criminelles à aucun de ses employés, et, en définitive, la concession promise et payée d'avance n'avait pas été obtenue. Rien ne prouvait mieux la parfaite intégrité de l'administration franc:aise. Eh bien ! rien ne prouva mieux aussi que, quand l'esprit public est une fois troublé, rien ne peut le désabuser. Rien n'y fit, ni la sévérité de la Chambre des pairs, ni la preuve de l'innocence de l'administration, il n'en resta pas moins acquis que le gouvernement vivait dans une atmosphère de corruption. De plus, au nombre des accusés figurait un ministre, collègue de M. Thiers dans son dernier passage au pouvoir, le général Cubières ; celui-là n'était pas corrompu, mais corrupteur dans un intérêt de lucre personnel, ce qui ne différait pas essentiellement. L'opposition n'en tint pas compte, et toute la faute fut mise exclusivement sur le ministère conservateur. Je ne connais dans l'histoire qu'un seul exemple d'une partialité aussi aveugle de l'opinion publique, c'est le traitement que subit la pauvre reine Marie-Antoinette dans la fameuse histoire du collier. Il n'y avait de coupable dans cette triste affaire qu'un prince de l'Église, le cardinal de Rohan, et on crut faire merveille, dans un temps où l'incrédulité religieuse était à la mode, de l'arrêter à Versailles, au moment où, revêtu d'habits pontificaux, il allait dire la messe. L'opinion publique |