144 REV c'E DES DEUX MONDES. grand succès électoral remporté l'été précédent par le ministère de M. Guizot n'avait pas porté ses fruits. Les ministres n'avaient pas trouvé le moyen d'employer avec activité et à des innovations utiles le merveilleux instrument d'une majorité docile que le pays légal avait mis entre leurs mains, et, comme il arrive toujours à une armée qui se croit trop sûre de la victoire, et qui n'est pas bien conduite, ni constamment ralliée, elle s'était débandée et divisée. De petits groupes, sortis du sein de la majorité conservatrice, accusaient l'inertie et l'indolence du ministère; on aurait voulu le voir tenter, dans la politique, soit intérieure soit extérieure, quelque grande oeuvre à laquelle serait attaché le renom de ceux qui y prendraient part. C'était, même pour les meilleurs amis de la dynastie et du ministère, un état de lassitude et de malaise. La France s'ennuie, disait M. de Lamartine, dans un discours à une réunion publique, et jamais expression ne fut plus juste. La nation entière était comme une femme fatiguée de la vie uniforme et paisible de son ménage, qui lit avec avidité des romans pour se distraire, et souhaiterait de courir elle-même quelque aventure héroïque ou passionnée. L'opposition, de son côté, sentant que l'esprit public s'éloignait du pouvoir, avait repris courage et choisi pour thème de ses attaques une accusation bien faite pour parler aux imaginations en travail. Elle soutenait que le succès de ses adversaires avait été dù à des influences corruptrices, et à des distributions abusives de places et d'argent, et qu'on n'y porterait remède qu'en réformant le corps électoral lui-même vicié par la pression ou la séduction administrative. Le cri de « Sus à la corruption et vive la réforme! » devint le mot d'ordre de tous les partis hostiles, et aucun ne répondait mieux à l'état de rêverie, de dégoût, et de vague désir de changement auquel se laissaient aller toutes les classes supérieures du pays. Mais au-dessous, dans les rangs populaires qui, éloignés du scrutin électoral par le cens, n'avaient aucun moyen régulier de faire connaître leurs sentiments, et au-dessus desquels nous vivions tous sans prendre assez de soin de les interroger et de les connaître, un travail du même ordre, mais d'une tout autre portée, s'était opéré. La dernière récolte avait été très insuffisante et une cherté de blé s'en était suivie. C'était un mal beaucoup plus grave et |