134 REVUE DES DEUX MONDES. les donnerez, s'en serviront pour prendre le pouvoir que vous leur refusez. Mieux vaut le leur donner tout de suite dans la mesure que vous fixerez vous-même. Le dialogue fut repris plus d'une fois, et le Pape connaissait si bien à cet égard la pensée de son interlocuteur que, quand il le voyait commencer, il disait avec ce sourire aimable qui était un de ses grands charmes : « Ecco il signor ambasciatore con suo elemento laico. » Mais il riait, ne cédait pas, et en définitive ne faisait rien. Nous ne tardâmes même pas beaucoup à nous apercevoir que ces représentations, qui restaient infructueuses, commençaient à devenir importunes. Elles troublaient le concert d'éloges et, disons le mot, d'adulation, dont Pie IX était entouré et commençait à être enivré. Les légers grondements qu'une oreille attentive entendait à Rome à travers les acclamations populaires n'étaient pas perçus à distance et dans toute l'Europe. L'effet de surprise admirative, causée par la généreuse initiative du V7 juillet, durait encore. Les hommages, les félicitations continuaient à arriver de toutes parts. En France surtout, c'était un transport unanime. Tous les partis faisaient chorus, et les plus hostiles au gouvernement de Juillet et au ministère de M. Guizot, n'étaient pas les moins vifs. Le parti catholique, qui demandait avec une ardeur souvent si âpre la liberté d'enseignement, avait trop souffert dans la personne de ses chefs des tendances rétrogrades de Grégoire XVI, pour n'être pas ravi du changement. Rien n'égalait l'élan des Lacordaire et des Montalembert. Ils avaient l'air de se croire vengés des coups qui, en frappant sans pitié Lamennais, l'avaient jeté violemment hors de l'Église. Mais l'opposition de gauche elle-même, celle qui maintenait le monopole universitaire, et venait de proscrire les jésuites, croyait ne pas devoir rester en arrière. Tout ce qui secouait le vieil édifice européen lui convenait. Il y eut à ce sujet des paroles très vives prononcées du haut de la tribune. M. Thiers, saluant les bonnes intentions du Pape, et faisant allusion aux résistances qu'il pouvait rencontrer, lui cria : « Courage, Saint-Père, courage 1 » et le lendemain, les murs de Rome étaient couverts de cette affiche : « Coraggio, Santo Padre, coraggio ! » Quand on est ainsi loué par tout le monde, le moindre blâme déplaît. 11 doit y avoir d'ailleurs chez les meilleurs Papes, quelle situation n'a pas ses dangers pour la faiblesse humaine ? — une tendance dont un bon confesseur doit avoir le courage de |