98 REVUE DES DEUX MONDES. Non I la France voulait un homme ; qu'importait l'étiquette : consul, empereur ou roi ? Suivons la gradation d•:s faits. D'abord il y eut Marengo. Sur cette carte de la nouvelle campagne d'Italie, Bonaparte avait entassé toutes ses provocations au Destin. Il avait dit, au 48 brumaire : « Souvenez-vous que je marche accompagné de la fortune et du dieu de la victoire » ; sa première préoccupation fut de justifier cette assertion un peu forte : car, en Égypte, la victoire et la fortune l'avaient bien abandonné. Telle fut la pensée de grand risque qui dirigea ses premiers pas consulaires. Une victoire lui était, d'abord, nécessaire, — et une victoire sans pareille. On sait l'émotion dans Paris, quand les premières nouvelles répandirent le bruit d'une défaite. Le succès n'en fut que plus éclatant et le « rétablissement » plus complet. Après Marengo, la partie de la dictature militaire est jouée. Le héros a gagné la guerre : à l'homme d'État, maintenant. de faire ses preuves en gagnant la paix. Le pays ne se considérera comme assuré de ses succès extérieurs et intérieurs, que quand l'étranger aura renoncé à son entreprise d'anéantissement de la Révolution et de partage de la France. Bonaparte réussit encore : paix en Italie, paix avec le Portugal, avec la Russie, avec l'Autriche et, bientôt, paix avec l'Angleterre. La paix consacrant le territoire agrandi, la paix débordant sur l'Italie et sur les Pays-Bas, la paix sur terre et la paix sur mer, la paix glorieuse I C'est à la fuis la sécurité et les subsistances, ce pour quoi l'on se bat depuis dix ans. La France, maîtresse de sa frontière, le paysan maître de son lopin, le bourgeois assuré de ses biens et de ses rentes. Qui eùt rêvé de si rapides et si pleines réalisations ? Mais la paix et la sécurité posent aussitôt le problème connexe, celui de la stabilité : on a gagné, il faut garder. Or, voici que d'autres miracles précipitent la trouble mixture révolutionnaire en un résidu compact et solide : cette fois, c'est bien la fin de la Révolution par la réfection de la France. Là où les assemblées se perdaient, s'embourbaient dans les discussions et dans le sang, le commandement s'est mis à l'ceuvre. Cet homme seul, précisément parce qu'il est seul, — aboutit. Il enlève le Code civil dans les courtes et fameuses séances du Conseil d'État et, par cette Loi des XII tables, |