96 13EVUE DES DEUX MONDES., trait, au bout de son système et qu'il défonce d'un coup de poing la Constitution « métaphysique » de Sieyès pour y insérer son système à lui, le système florentin et romain, le Podestat, le Consul ? Encore faut-il distinguer entre ce qui se passe avant et après Marengo. Avant Marengo, son attitude reste froide, ambiguë, expectante. Ne cherchant que la gloire civile, il revêt avec ostentation les palmes vertes de l'Institut. Après Marengo, le costume de général en chef est le seul qui convienne ; et il fait monter, à la poignée de son sabre, le Régent, diamant des Rois. La question était sur toutes les lèvres : resterait-on en république, restaurerait-on la monarchie ? Déjà les élections de 1797 avaient entr'ouvert la porte au « Roi », Barthélemy étant directeur. Les événements paraissaient justifier l'objection, répétée à satiété, par Bonaparte lui-même, par Joseph de Maistre, par tout le monde, que la France est un pays trop vaste et trop peuplé pour vivre sous un régime républicain. Non seulement les royalistes luttaient énergiquement, depuis la Vendée jusqu'à Paris, pour une cause qui les tenait par le coeur et par l'intérêt, mais les plus détachés s'interrogeaient g sur une expérience P qui n'avait donné, en somme, jusqu'ici, que la Terreur et le Directoire. Les « derniers Montagnards », terrés aux clubs clandestins, comprenaient eux-mêmes qu'il ne pouvait être question de confier la direction des affaires à ce personnel puisé, divisé et qui s'était décimé lui-même ; les Mirabeau et les Danton sont morts : il ne reste que des Sieyès et des Talleyrand. Mais tout le monde comprenait aussi que rappeler les rois et les émigrés, c'était courir à d'autres révolutions sans fin. Bonaparte avait les yeux fixés sur cette masse obscure du passé dont il calculait la force : quinze siècles 1... Son idée était de rapprocher les deux Frances, non seulement dans les personnes, mais dans les choses. Il tenait ce propos rapporté par Bignon : « Je ne crains pas de chercher les exemples et les règles dans les temps passés. En conservant tout ce que la Révolution a pu produire de nouveautés utiles, je ne renonce pas aux bonnes institutions qu'elle a eu le tort de détruire. » (I, 138.) Mais, au milieu des dissensions et des partialités atroces, quelle autorité nationale et acceptée pourrait imposer ce difficile rapprochement ? Nulle autre, évidemment, que l'autorité |