'1722 REVUE DES DEUX MONDES. pour eux-mêmes des prêtres assermentés, s'en allaient de nuit, au péril de leur vie, chercher dans leur cachette les prêtres qui avaient refusé le serment, pour les amener sur leurs champs et les inviter à bénir les moissons futures. Pour la terre, il leur fallait de véritables et authentiques représentants de Dieu, car la terre est sacrée. De la terrasse de la maison Gallice qui surplombe le cours de l'Arc, nous vîmes de loin venir la procession de Bonneval, sur le sentier. Elle avait pris la rive gauche où la voie est meilleure. Elle franchit le petit pont jeté sur l'eau verte du torrent qui bouillonne, gravit les dalles taillées, s'arrêta quelques instants, la durée d'un Pater et d'un Ave, devant le petit oratoire de Notre-Dame de la Merci, s'engouffra dans la ruelle étroite du hameau de l'Écot pour s'épanouir, à la sortie, autour de la chapelle. Cette chapelle, très ancienne, est bâtie sur le roc ; son abside romane n'est pas sans art et renferme une statue de saint Sébastien blessé, due au ciseau de l'un de ces Clapier, sculpteurs et peintres décorateurs de toutes les églises de la Haute-Maurienne, de Lanslebourg à Bessans et Bonneval, primitifs en retard aux expressions naïves et figées. Nous nous joignîmes à l'assistance qui se pressait autour de nous pour entendre la messe, ou du moins pour en recueillir quelque parcelle, et l'assistance était elle-même encerclée par le bétail parqué dans les prés, rares à cet endroit, et les éboulis entre le torrent et la pente. Ce spectacle se déroulait dans le soleil du matin, déjà chaud malgré l'automne menaçant, et dans tout l'éclat de cet automne qui rend la montagne pareille à un jardin multicolore à cause des teintes rouges des airelles, dorées des fougères, mauves et violettes des rochers et des moraines. Au-dessus de nous les glaciers de la Lévanna semblaient suspendus dans l'azur. Après l'office, le prêtre s'avança sur le seuil de la petite chapelle et leva en l'air l'ostensoir, au-dessus de la foule agenouillée, au-dessus de la masse grouillante des animaux. Sa bénédiction s'élargit jusqu'à la barrière des monts géants qui fermaient le val. Puis, ayant quitté les ornements sacerdotaux, ne gardant que le surplis et l'aube sur sa soutane, il visita successivement chacun des feux de l'Écot. Autrefois, l'Écot en comptait douze ou quinze. Mais après la guerre, cinq seulement y brûlent encore. Cinq familles assez |