îil REVUE DES DEUX MONDES. Elle est à bout. Il lui faut un tel effort pour ne pas se contenter des larmes, pour refouler celles qui voileraient ses yeux grands ouverts, ses yeux devenus immenses où apparaît toute son âme refoulée, à elle, depuis dix ans, ses yeux qui regardent pour dix ans de retard ce visage d'homme et qui ne veulent pas être embrumés, afin de ne rien perdre de la nourriture dont ils se rassasient. Et Michel, qui n'a pas quitté sa posture d'adoration ni retrouvé la plénitude de sa voix, répond : — Je sais... Vous ne m'en voulez plus, Bianca ? - Oh 1 soupire-t-elle. Comme s'il ne devait pas savoir qu'elle a pardonné I Alors, le changement que j'escomptais se produit brusquement en lui. Il est d'une telle soudaineté que j'en serai tout ébranlé, comme elle. Le sergent Gallice devait se précipiter ainsi à l'assaut, ordonner ainsi la marche en avant. - Bianca, dit-il, venez. Il a pris sa résolution, ses responsabilités. Il accepte le destin. C'est assez peiner, endurer et souffrir. C'est assez résister. La terre a reçu la victime. Les temps sont révolus. La justice de Dieu ni celle des hommes n'ont plus rien à opposer : « Venez, Bianca, venez : de l'autre côté de la montagne il y a une maison qui vous attend, il y a le foyer à qui toute femme est vouée, il y a la race à venir, la paix et le bonheur, il y a surtout cette chose que nous ne savons pas, nous autres, analyser ni approfondir, cette chose inconnue, mystérieuse et fatale, qui nous pousse insensiblement l'un vers l'autre, moi vers vous, et vous vers moi, sans que nous puissions l'écarter, et qui nous met à part des autres hommes et des autres femmes qui décrit autour de nous un grand cercle de solitude à l'intérieur duquel il n'y a que nous. Qu'importe dès lors que j'aie tué votre frère I J'ai expié et vous avez pardonné. Venez, Bianca... » Tout ce qui est contenu dans cet appel, net et impératif comme un coup de clairon, elle l'a entendu. Elle a croisé ses mains sur la poitrine, sur son coeur éclaté. Il lui offre sa vie. Elle consent à pleurer. Il n'est plus besoin de le voir, puisqu'elle le verra toujours. Cependant elle se reprend et, montrant sa mère qui, par des ondes invisibles, est tout agitée, comme si elle partageait notre émotion, objecte : Elle ? |