742 REVUE DES DEUX MONDES. l'humble douceur de l'acceptation, et le pardon de toujours, et la prière de chaque soir, et l'attente. Il est touché, il a recouvré le sentiment, et cependant il proteste encore : - Ce n'est pas possible. Je ne saurai pas parler. Il y a trop longtemps. — Je serai là, Michel. Pourquoi tant parler ? Vous vous accorderez vite. Dans la grange aussi tu craignais de ne pas t'expliquer. Tu as bien défendu ton honneur d'homme. Il esquisse un geste : son honneur d'homme, qu'est-ce que cela auprès de ce qui se joue en ce moment ? Sa bouche grimace dans un sourire manqué : - J'ai peur, là. — Oui, tu as peur, comme tout le monde avait peur la veille d'une attaque. Et puis l'on marchait, et l'on sentait, en marchant, quelque chose de puissant en soi qui vous entraînait, quelque chose qui était plus fort que soi. Tu t'es confessé, tu es prêt : viens. Il se passe la main sur la boùche comme pour la désaltérer par ce contact et il se jette en avant, comme à la guerre en franchissant le parapet de la tranchée. Je le rattrape au vol : - Pas si vite, Michel. Garde ton souffle. Tu en auras besoin. Le premier le franchis le seuil de la maison Missa. Michel s'y glisse derrière moi, la tête basse, le chapeau à la main, comme s'il entrait à l'église au moment de la consécration, quand Dieu est appelé sur l'autel par le prêtre. Bianca est debout, vers la fenêtre, à côté de sa mère assise que notre groupe intrigue sans la sortir de l'hébétude. Au-dessus d'elle, juste au-dessus d'elle, sur la planchette, je puis voir la grossière statuette de la Vierge devant qui elle a demandé et obtenu le serment du coupable. Elle s'est mise sans le chercher sous la protection de ces deux femmes, de ces deux mères, mais l'une est mystérieuse et lointaine, et l'autre présente et absente ensemble. Pourquoi ce refuge, et contre qui ? Contre ellemême ? Peut-on jamais se fuir ? Je les regarde tour à tour, elle et lui. Il a osé lever les yeux sur elle. Elle a gardé les yeux posés sur lui. Après dix ans, ils sont face à face. Ah ! les visages des hommes et ceux, plus doux et clairs, plus lisses et délicats des femmes, comme nous les connaissons mal dans la vie quotidienne ! Comme nous savons peu les interroger, les pressentir, les comprendre ! Ceux des passants et des passantes que nous |