938 REVUE DES DEUX MONDES. par délicatesse, de ne pas regarder le tas d'argent, il s'approcha d'Iégôrouchka et le tira par sa manche. - Viens avec moi, petit pane, lui dit-il à mi-voix ; tu vas voir quel ours je vais te montrer ! si effrayant, si méchant ! Ouh 1... Iégôrouchka, somnolent, se leva et suivit lentement Moïssey Moïssèïtch pour voir l'ours. Il entra dans une petite chambre, où avant d'avoir rien vu, sa respiration fut coupée par une odeur aigre et renfermée, bien plus compacte que dans la grande chambre, et qui, apparemment, partait de cette pièce pour se propager dans toute la maison. Une moitié de la chambre était occupée par un grand lit, recouvert d'une courte-pointe sale, l'autre moitié par une commode et des tas de hardes de toute sorte, à commencer par des jupons très empesés, et à finir par des culottes d'enfants et des bretelles. Sur la commode brûlait une bougie. Au lieu de l'ours promis, Iégôrouchka vit une grande et grosse juive, les cheveux dénoués, en robe de flanelle rouge à puits pois. Elle se mouvait lourdement entre le lit et la commode, poussant des soupirs prolongés, comme si elle avait mal aux dents. En voyant Iégôrouclka, elle prit une mine dolente, soupira profondément et, avant qu'il eût le temps de se reconnaître, elle lui approcha de la bouche une tranche de pain avec du miel. - Mange, enfant ! dit-elle. Tu es ici sans ta maman et il n'y a personne pour te donner à manger. Mange ! Iégôrouchka commença à manger, bien qu'après les bonbons et les gâteaux aux grains de pavot qu'il mangeait chaque jour à la maison, il ne trouvât rien de bon à ce miel, mêlé de cire et d'ailes d'abeilles ; il mangeait et Moïssey Moïssèïtch, et la juive le regardaient. Où vas-tu, enfant ? demanda la juive. Apprendre, répondit Iégôrouchka. — Combien êtes-vous chez ta maman ? Je suis seul... Il n'y a plus personne. La juive soupira et elle leva les yeux en l'air : - Pauvre maman, pauvre maman ! Comme elle va s'ennuyer et pleurer ! Dans un an, nous emmènerons aussi notre Naoum s'instruire ! Ah l - Ah ! notre Naoum ! soupira Moïssey Moïssèïtch. Et la peau de son pâle visage trembla. Ii est si malade. |