930 REVUE DES DEUX MONDES. Alleluia ! alleluia ! alleluia ! Gloire à Toi, mon Dieu I 11 sourit enfin, leva les yeux au ciel et, mettant le psautier dans sa poche, il dit : - Fini ! (1). Une minute après, la briska se mit en route. Comme si elle revenait en arrière, les voyageurs voyaient la même chose qu'avant midi. Les collines s'estompaient dans le lointain lilas et on n'en apercevait pas la fin. Les hautes herbes, les pierres roulées disparaissaient et revenaient. Les éteules fauchées passaient. Et toujours les mêmes freux, volant au-dessus de la steppe, et un milan qui battait majestueusement des ailes. L'air se figeait de plus en plus dans la chaleur et dans le calme. La nature docile s'engourdissait dans le silence... Pas de vent ; pas un bruit alerte ; frais ; pas un nuage. Quand enfin le soleil commença à s'incliner vers l'Occident, la steppe, les collines, et l'air ne purent plus supporter le joug, et perdant patience, las, tentèrent de s'en débarrasser. De derrière les collines surgit inopinément un nuage cendré, tout bouclé. Il regarda la steppe en ayant l'air de dire : « Me voici ! » et il devint sombre. Tout à coup, dans l'air immobile quelque chose se rompit. Le vent prit son élan, et, avec bruit, avec sifflement, se mit à tournoyer par la steppe. Tout de suite le gazon et les hautes herbes de l'année précédente se mirent à chuchoter. La poussière tourbillonna en spirales sur la route. Elle courait dans la steppe, emportant de la paille, des cigales et des plumes, s'élevant jusqu'au ciel en colonne noire, virevoltant, voilant le soleil. Dans la steppe, en long et en large, se butant et sautant, couraient les aigrettes du chardon roulant. L'une d'elles, prise dans l'ouragan, tourna comme un oiseau, vola vers le ciel, et, changée en un point noir, disparut aux yeux. Derrière elle s'en envola une seconde, puis une troisième, et Iégôrouchka en vit deux se cogner dans l'air bleu, et s'attraper comme en un corps à corps. Dérangé par l'ouragan et ne comprenant pas de quoi il s'agissait, un râle de genêt se leva de l'herbe. 11 volait dans le vent, et non vent debout, comme tous les oiseaux ; aussi ses plumes se hérissaient ; il semblait de la grosseur d'une poule et avait un air très méchant et important ; seuls les freux, vieillis (1) En franc.ais dans le texte, |