924 REVUE DES DEUX MONDES. et faire manger les chevaux. Kouzmitchov, le P.Christophore et Iégôrouchka s'assirent à l'ombre maigre de la voiture et des chevaux dételés ; et, sur un feutre étendu, ils commencèrent à manger. La bonne et joyeuse idée, immobilisée par la chaleur dans le cerveau du P.Christophore, voulut, après qu'il eut bu de l'eau et mangé un oeuf cuit sous la cendre, paraître au jour. Il regarda amicalement Iégôrouchka, agita les lèvres et commença : Moi aussi, mon petit, j'ai étudié. Dès mon âge le plus tendre, Dieu avait mis en moi la raison et la compréhension. Je n'avais pas quinze ans que je faisais et disais déjà des vers. Je composais en latin aussi facilement qu'en russe. Quand j'étais porte-crosse de l'évêque Christophore, une fois après la messe, je me le rappelle comme si c'était maintenant, c'était la fête du pieux empereur Alexandre Pàvlovitch-le-Béni [Alexandre Ier], il se dévêtait à l'autel ; il me regarde d'un air caressant et me demande : Puer bone, quam appellaris ? Et je réponds : Christophorus sum. Et lui : Ergo cognominatisumus, autrement dit, nous avons le même prénom. Puis il demanda, en latin : « De qui es-tu fils ? » Et je répondis, aussi en latin, que j'étais le fils du diacre Sériiski, du village de Lébédinnsk. Voyant mon développement et la clarté de mes réponses, Son Éminence me bénit et dit : « Écris à ton père que j'aurai l'oeil sur toi. » Les archiprêtres et les prêtres, qui étaient à l'autel, écoutant ce discours latin, en furent fort étonnés, et chacun m'exprima par une louange son plaisir. Je n'avais pas encore de moustaches, mon petit, que je lisais le latin, le grec et le français. Je savais la philosophie, les mathématiques, l'histoire, et toutes les sciences. Mes maîtres et mes bienfaiteurs s'étonnaient et supposaient que je serais un homme très savant, flambeau de l'église. Je pensais aller à Kiev continuer mes études, mais mes parents ne me donnèrent pas pour cela leur bénédiction. « Tu vas, dit mon père, apprendre toute ta vie. ; quand te verrons-nous donc revenir ? » Ayant entendu ces mots, je cessai mes études et pris une cure. Je ne devins naturellement pas un savant ; mais je ne désobéis pas à mes parents. J'ai assuré leur vieillesse, je les ai enterrés avec honneur. L'obéissance vaut mieux que le jeûne et la prière. Vous devez probablement avoir oublié déjà toutes les sciences ? remarqua Kouzmitchov. |