920 REVUE DES DEUX MONDES. Le seigle moissonné, les hautes herbes, l'euphorbe, le chanvre sauvage, tout ce que la chaleur avait roussi, séché, à demi tué, se ravivait, trempé par la rosée et caressé par le soleil, pour s'épanouir à nouveau. Au-dessus de la route, les pétrels arctiques volaient avec des cris joyeux. Dans l'herbe, les souslics s'appelaient. Quelque part au loin, des vanneaux semblaient pleurer. Une compagnie de perdrix, effrayée par la briska, s'envola avec son doux trrr vers les collines. Les grillons, les sauterelles, les criquets, commencèrent dans l'herbe leur grinçante et monotone musique. Mais déjà la rosée s'évaporait ; l'air redevint calme, et la steppe, déçue, reprit son aspect triste de juillet. L'herbe baissa l'oreille ; la vie cessa. Les collines brûlées, brunes-vertes, lilas au loin, avec leurs tons assourdis ; la plaine, avec son lointain vaporeux et le ciel comme retourné, qui, dans la steppe, où il n'y a ni bois ni hautes collines, semble effroyablement profond et transparent, apparaissaient maintenant sans fin, imprégnés de tristesse... Comme il fait lourd et triste 1 La voiture file, et légôrouchka voit sans cesse la même chose : le ciel, la plaine, les collines... La musique, dans l'herbe, s'est tue... Les pétrels se sont envolés. On ne voit plus de perdrix. Au-dessus de l'herbe flétrie tournoient, ne sachant que faire, des freux, tous semblables les uns aux autres, et qui rendent la steppe encore plus monotone. Au loin, un moulin tourne ses ailes. Comme diversion, brille entre les hautes herbes un crâne blanc ou une pierre roulée. Il surgit, un instant, une fruste statue de femme, en pierre grise, ou un saule desséché, avec, à la branche du haut, un geai bleu. Un souslic traverse la route. Et à nouveau, devant soi, les hautes herbes, les collines, les freux... Mais, Dieu merci, voilà qu'arrive un chariot avec des gerbes. Tout en haut est étendue une jeune fille. "_1,âmnolente, exténuée, elle lève la tête, et regarde les passants. Dénîsska la contemple. Les bais tendent les naseaux vers les gerbes. La briska grinçante frôle le chariot ; et les épis, piquants comme un balai de bouleau, froissent le haut de forme du P.Christophore Tu te jettes sur les gens, l'enflée 1... crie Dénisska. Eh 1 ton museau est rebondi comme si un bourdon l'avait piqué. A moitié endormie, la fille sourit, et, après avoir remué les lèvres, se recouche... Mais voilà, dressé sur la colline, un |