902 REVUE DES DEUX MONDES. en premier au ne d'infanterie. On le lui accorde. Il en est très satisfait ; et, le 28 mars'1823, il écrit à Saint-Valry : Aujourd'hui, le lendemain du jour de ma naissance, vient de m'arriver ce nom de capitaine auquel semblent seulement commencer les grandes choses de la guerre, et qui, le premier, donne un peu de liberté et quelque puissance. Avec ce grade m'est arrivée la nouvelle que j'irai en Espagne, quand le régiment sera complet. Ainsi je mérite vraiment toutes vos félicitations, puisque je me vois certain de faire cette guerre à la Du Guesclin, et d'appliquer aux actions les pensées que j'aurais pu, porter dans des méditations solitaires et inutiles. Il fallut bientôt déchanter. Le régiment traversa la France, de Strasbourg à Bordeaux, fit un séjour à l'île de Ré, puis se dirigea vers l'Espagne : mais à Orthez, il s'arrêta. Le bataillon ne devait jamais franchir la frontière. Virtuellement, le dernier essor qu'avait voulu prendre le capitaine de Vigny était brisé. Mais le moyen de le regretter, puisqu'il allait pouvoir se livrer tout entier aux lettres et à la poésie ? Pour tin jeune homme qui porte déjà dans sa tête le plan de Cinq-Mars et le scénario de nombreux drames historiques, les Pyrénées offriraient un pays de choix, un cadre rêvé à ses imaginations. Orthez, ancienne capitale du Béarn, se présenta en effet aux yeux étonnés d'Alfred de Vigny comme une apparition du moyen âge. Vieille ville aux sombres demeures, dont l'une gardait encore le souvenir de Jeanne d'Albret, elle se serrait autour de son église gothique, rebâtie sur des murs du xne siècle, et autour du château Moncade, aux trois étages drapés de lierre, à la couronne de mâchicoulis. Et pour entrer dans ce passé encore vivant, il fallait franchir un vieux pont extraordinaire, en dos d'âne, aux quatre arches inégales, en ogive ou à plein cintre, et que gardait au beau milieu une haute tour de défense à pans coupés, percée de meurtrières, et coiffée d'un toit surplombant. Dans tout ce décor émouvant, à chaque pas, des visions étranges et dramatiques. Au xive siècle finissant Froissart est passé par ici, et il nous a conté la tragique aventure de la famille de Gaston Phoebus. Personnage étrange et déconcertant ce beau seigneur, qui partageait son temps en trois parties : l'une est en armes, |