892 REVUE DES DEUX MONDES. rêts matériels. Qu'on se rappelle les troupeaux de moutons et les chameaux du douaire 1 Elle y passa quelque temps en visiteuse, retrouvant près des Arabes son ancienne popularité et s'en servant encore une fois au profit de la France. M. Lutaud, gouverneur général de l'Algérie, en voyage officiel dans nos territoires du Sud, fut reçu par elle au château de Courdane et il lui demanda d'insister pour que les chorfa Tedjani encourageassent l'enrôlement des jeunes Arabes dans l'armée. Ces pays guerriers entendirent l'appel de la France : des goum se formèrent aussitôt. M 1 e Aurélie en était fière et ne voulait pas songer que ces hommes pris à la terre, c'était son oeuvre agricole compromise : elle savait que les Français de France laissaient aussi leurs terres en friche, abandonnaient la charrue, parce qu'il fallait d'abord sauver la France par les armes. Si quelque critique monta à ses lèvres sur l'organisation actuelle de la zaouïa, elle ne la formula pas. Ce n'était pas le moment de critiquer... A peine si, remarquant le mauvais état de certains bâtiments de Courdane, elle fit observer à Sid- Ali qu'en réparant tout de suite une petite dégradation, comme elle le faisait elle-même autrefois, il s'épargnerait pour plus tard des travaux souvent très onéreux. Remarque qui n'eut d'ailleurs aucun effet... Après ce séjour dans le Sud, Mme Tedjani revint à Alger où elle passa le temps de la guerre. Puis, en 1920, un désir la prit de finir ses jours dans son pays natal, ce Barrois quitté depuis cinquante ans. Elle vendit sa villa d'Alger et rentra en France avec sa soeur et son beau-frère chez qui elle habite actuellement. Mais avant de quitter l'Algérie, elle avait revu une dernière fois son beau-fils, le Cheik Sid-Ali. Étant allée à Blidah faire ses adieux à la fille de sa soeur, mariée à un professeur du collège, elle apprit que Sid-Ali se trouvait dans cette ville où il était venu chercher un adoucissement au mal terrible dont il était atteint, le cancer de la langue. Celui dont la langue affilée savait autrefois si bien distiller l'intrigue était cruellement puni par Allah 1 Mme Aurélie Tedjani fit le geste de suprême pitié elle alla voir son beau-fils et, comme il tâchait de faire comprendre qu'il mourait de faim parce que sa maladie ne lui permettait pas d'avaler ce que lui préparait son cuisinier, |