886 REVUE DES DEUX MONDES. portrait de Félix Faure que je ne m'attendais guère à trouver là. Dans de la superbe vaisselle plate, quinze sortes de viandes et de légumes poivrés, pimentés à brûler le palais, y compris le classique mouton rôti, le méchouï ; puis quinze sortes de sucreries orientales douces à chavirer l'estomac : ainsi reçoivent les grands seigneurs arabes. Devant ce repas pantagruélique, je pensais aux festins du moyen âge, dont les descriptions arrivées jusqu'à nous étonnent nos médiocres appétits. Mme Aurélie ne prenait jamais ses repas avec ses hôtes ; mais nous la rejoignîmes à l'heure du café dans un des grands salons du premier étage dont les superbes objets d'art, empruntés à. toutes les civilisations, achevèrent de nous dépayser, de nous déconcerter. Sommes-nous chez un prince asiatique ?... Un grand seigneur franc au temps des Croisés ?... Ou chez un riche marchand florentin du xve siècle ?... Et que fait là ce piano, un piano français qui égrène parfois sous un doigt hésitant ses notes désaccordées ? Quelle randonnée épique sur le dos bossu d'un dromadaire a fait gémir ses cordes avant qu'il échouât dans cet angle ! On n'ouvrait guère les pièces de réception que pour recevoir les Français ; car la princesse Tedjani n'avait pas assez de loisirs pour se jouer à elle-même le rôle d'une mondaine désoeuvrée. Une vie extérieure débordante, mille soucis de propriétaire et de suzeraine l'absorbaient. Ses essais de culture, les dispensaires et les écoles d'Aïn-Mahdi et de Courdane, le budget de la confrérie à équilibrer, tant de pèlerins à nourrir, tant de serviteurs à surveiller ! Ses jours étaient bien remplis... Cette direction si complexe, dont la prospérité dépendait de Mme Aurélie seule, l'attachait à ce pays de toute son âme ardente et dévouée. J'ai lu dans l'expression heureuse de ses yeux, quand elle parlait de sa vie saharienne, de ses chers Arabes, qu'elle avait réellement trouvé dans sa tâche le bonheur dont elle rêvait aux premiers temps de son séjour à Aïn-Mahdi. *** En rentrant de Courdane, nous rencontrâmes à Tadjemout le caïd de ce ksar, Si-Yaya-Taouti, que je connaissais bien et qui nous offrit l'hospitalité pour la nuit. Il avait une maison de ville à Laghouat ; j'allais souvent y voir sa famille. Comme il |