882 REVUE DES DEUX MONDES. Mahdi où vivait sa famille et Courdane où Mme Aurélie continuait à habiter. Dans l'exploitation, la vie reprit semblable à celle d'autrefois, parce que le bon génie était revenu. Cependant le nouveau Cheik n'avait pas la valeur et la bonté spontanée de son prédécesseur. Surtout il ne pouvait y avoir entre Mme Aurélie et le jeune frère de Sid-Ahmedcette parfaite union des coeurs, cette tendresse sûre, nées d'une longue habitude et réchauffées par les doux souvenirs de jeunesse. Mme Aurélie avait su lire dans l'esprit et dans le coeur de Sid-Ahmedcomme dans un livre ; cela lui avait permis de tout oser. Avec Sid-el-Bachir, plus de prudence, plus de réserve étaient nécessaires pour ne pas compromettre le principal de l'oeuvre. Et surtout la faiblesse de caractère de Sid-el-Bachir, tout en augmentant peut-être dans le présent l'autorité de Mme Tedjani, lui faisait craindre pour la durée de son cher Courdane. Les circonstances qui avaient entouré son mariage avec Sid-el-Bachir prouvaient que si la Française, âme de l'entreprise, disparaissait un jour, l'anarchie, le désordre prendraient sa place. Ne sentant plus près d'elle un cheik énergique, Mm0 Aurélie dut écarter désormais les innovations trop hardies, comme celle de la collaboration des Pères Blancs. Cependant la période qui suivit son second mariage fut une période brillante de la vie de Mme Aurélie Tedjani. Elle avait cinquante ans environ et une intelligence en pleine vigueur qui la rendait consciente de son énorme supériorité sur son entourage. C'était une des ligures les plus curieuses et les plus attachantes du Sahara algérien. Le croquis que l'explorateur Soleillet fit d'elle en 1872, ne lui ressemblait plus. La jeune femme mignonne avait grossi, ce qui avantageait sa taille élevée et lui donnait grande allure. Elle portait habituellement le costume arabe, mais le quittait par commodité pour voyager et aussi pour recevoir les Français. Elle adoptait, pour ces réceptions, de longues robes d'apparat. Son aspect calme et un peu froid, sa parole mesurée, son geste rare, la discrétion qu'elle gardait sur sa vie privée et ses sentiments secrets, toute son attitude, toute sa conduite imposaient à ceux qui l'approchaient. Aussi les Arabes ne lui parlaient-ils qu'inclinés vers la terre et portant à leurs lèvres le bas de son vêtement en témoignage de grande vénération. |