866 REVUE DES DEUX MONDES. grand état-major avait confié à Erzberger, chargé de négocier avec les représentants de la France : « La situation est devenue telle qu'il faudra accepter, quelles qu'elles soient, les conditions qui nous seront imposées. » Nous jouissions alors d'un incomparable prestige : hélas ! nous avons été comme le joueur qui, ayant les principaux atouts dans la main, ne sait pas s'en servir. Les premiers mois qui ont suivi la capitulation ont été pour l'Allemagne une période difficile. La clef de voûte qui soutenait l'édifice était tombée. L'arrivée au pouvoir des socialistes entraînait d'énormes dépenses. Aux fonctionnaires, généralement capables, de l'ancien Empire, avaient été substitués beaucoup d'incompétents. L'avenir paraissait sombre. Dans l'Allemagne du Sud comme dans les régions rhénanes, grande était l'irritation contre les dirigeants de Berlin. Profitant de la faiblesse et des hésitations des Alliés, l'Allemagne. s'est peu à peu ressaisie. Dès 1919, je constatais que l'idée fondamentale autour de laquelle gravitaient toutes les préoccupations, était, après avoir perdu la victoire militaire, de remporter la victoire économique. C'était une grosse affaire ! Les équilibres qui s'étaient établis pendant la période d'essor industriel qui avait précédé la guerre, étaient détruits. Avant toute chose, il fallait gagner du temps. Il était à prévoir, en effet, que le temps travaillerait pour les vaincus, des discussions devant s'élever entre les vainqueurs, dont les intérêts n'étaient pas les mêmes, et paralyser l'action mal concertée des Alliés. Gagner du temps, c'était surtout nécessaire pour organiser la faillite. Quand la guerre a éclaté, l'Allemagne était très riche ; le professeur Arnold Steinmann-Bucher, directeur de la Deutsche Industrie Zeitung, dans un livre qui avait eu beaucoup de retentissement, avait cru pouvoir évaluer à 350 milliards de marks (marks-or bien entendu) la fortune de l'Allemagne. Cette fortune ne s'était pas évanouie. Les économistes allemands faisaient ce raisonnement, pendant la guerre : « Si nous sommes gênés par le blocus, qui nous empêche d'acheter bien des choses dont nous aurions besoin, du moins cela aura-t-il plus tard un incontestable avantage. Notre richesse n'étant pas détruite, nous serons à la fin de la guerre dans une meilleure situation que la France. L'occupation par nos armées de dix départements (dix départements qui donnaient plus du tiers de toute la production |