858 REVUE DES DEUX MONDES. la côte de Combres. Nommé capitaine à titre définitif, maintenu à la tête de mon unité, je relevais avec elle un contingent correspondant d'infanterie. Si j'avais connu alors la mention, que je viens de dire, j'en aurais savouré l'ironie, non remâchée ; nous ne nous arrêtions pas à ces jeux du destin. Le premier hiver de la guerre fut particulièrement dur. Je ne crois pas que l'on ait jamais autant souffert dans sa chair. Que de fois, de relève, je me suis remémoré le dessin de Raffet où l'on voit, au bas d'une colline, dans la brume, de l'eau jusqu'au ventre, le fusil à l'épaule, de crainte d'en mouiller le bassinet, des grognards, immobiles, attendre placidement l'heure de l'attaque en se confiant mutuellement à voix basse, sous la moustache : « Heureusement qu'ils ne nous savent pas là... » Ils, c'est-à-dire l'ennemi : les Autrichiens, les Russes, les Prussiens ou les Anglais : toute la terre... Nous avons fait aussi bien. A court de réseaux barbelés pour nous protéger, à court de rondins pour nous retrancher ou nous abriter, mesurant nos munitions, sans feu, enfoncés dans des bourbiers gelés, inondés de pluies torrentielles que rabattaient des vents cuisants, ou flagellés de gouttes de verglas qui changeaient nos manteaux autour de nous en chappes de glace, et n'ayant, comme lits, pour dormir, sous des toits faits de terre et de troncs mal joints, à travers lesquels tout suintait, que des claies inégales et noueuses, qu'il fallait monter de pieu en pieu au-dessus de la boue épaissie : tandis que les balles de mitrailleuses déferlaient brûlantes ou que l'on nous soumettait à des tirs concentrés : nous avons tenu, non des heures, mais des mois ; quelques-uns, plus heureux, des années. Nous aimions même notre misère. Incomparable race de France qui, du grognard sous son bonnet au poilu sous son casque, n'est jamais lasse d'héroïsme... Mais, tout a une fin... Un jour, le même tocsin qui nous avait jeté sur nos armes, nous les fit déposer. De tous les clochers du territoire il ébranla de nouveau la terre et le ciel, formidablement joyeux cette fois, si bondissant que les échos n'avaient point le temps de répondre. Et puis la clameur triomphale se tut, de bouche en bouche d'airain, et l'on reprit la vie comme elle se présentait, en se pliant aux circonstances. L'armée céda aux nécessités d'une refonte. Nombre de corps, de ceux qui avaient débouché radieux sous l'Arc ébloui, quand |