850 REVUE DES DEUX MONDES. peur poser les yeux sur le seuil clos, et regarder la ville étagée, la ville aux pierres blanches traversée des flèches d'or ou de pourpre de l'astre. Gagnant vers l'ouest, elle semblait attirée comme lui vers l'abîme... Et puis je rendis mes effets, mes armes, mon cheval, et je tournai pensif cette page de ma vie.. On m'a dit, depuis, que le nombre des maisons abandonnées allait croissant sur la colline aride, et que des cyprès tombés en augmentaient encore la solitude et la nudité. KXXIII. - AU CONTACT Officier de réserve, assidu à mes périodes, heureux de revêtir l'uniforme qui rend au corps et à l'âme une élastique allure, de me retremper dans la discipline militaire, subordination et commandement à la fois, conscient enfin, comme tous ceux de ma génération, de porter les armes pour de justes représailles, de filiales revendications, de stage en stage, je m'apprêtais aux jours brùlants que je sentais venir, à l'heure du sacrifice, de la délivrance espérée aussi... Le tocsin sonna. Ébranlé dans tous les clochers de France, haletant, il ne retentit nulle part aussi impérieusement que dans les coeurs. 11 nous jeta sur le chemin de nos régiments. Il se taisait à peine, que nous étions armés... Le 3 août, au matin, je ralliai mon corps. Mis à la tête d'un escadron, le 9e, comme lieutenant-commandant, dans le groupe divisionnaire 9 et 10, je reçus avec une grave joie ma nomination. En même temps, un contingent d'hommes et de chevaux m'arrivait. Un recrutement du même coin, du pays d'Armagnac, sorti de communes jointives, de terres, d'enclos voisins, les chevaux la plupart élevés par les hommes, et d'un sang ardent, d'un coeur égal. Bien faits pour chevaucher de compagnie, fringants, rapides et sans peur. Jeunes gens, officiers et cavaliers de vingt ans moins âgés que moi, jeunes bêtes hennissant encore, dont l'image martiale ne s'effacera jamais de ma mémoire. Montés, équipés, mis au point en quelques jours, nous partîmes. Ce fut par un après-midi torride. L'ombre même brûlait. La ville entière était descendue sur le quai d'embarquement. Les adieux étaient finis. Il n'y avait eu ni chants, ni cris, ni larmes, rien qu'une angoisse immense, mais |