828 REVUE DES DEUX MONDES. la nouvelle doctrine avec les croyances des ancêtres ; elles laissent entrevoir, au fond des âmes les plus dévergondées par la propagande athéiste, le clignotement d'une lueur mystique, pareille à ces veilleuses qui brûlent en Russie devant les images saintes. Trop souvent d'ailleurs, aux dires de la presse moscovite elle-même, cette flammèche, attisée par les persécutions, s'exalte au point d'incendier les foules et de les jeter contre les baïonnettes de la tchéka : la profanation des reliques avec le concours du cinématographe, l'expropriation des objets du culte, l'arrestation du Patriarche, la fermeture des églises, même l'abolition du calendrier Julien, ont provoqué, sur le front religieux, d'innombrables effusions de sang. Faut-il s'en étonner si, toujours d'après la Pravda, même des communistes brevetés se marient à l'église, font baptiser en cachette leurs enfants et confectionnent des gâteaux de Pàques ornés du pentagramme soviétique ? Mais, dans sa guerre contre Dieu, le bolchévisme ne s'attaque pas seulement aux inépuisables réserves de mysticisme dont Bélinsky niait les disponibilités : il se heurte aussi parfois à ce « bon sens, à cette clarté positive du cerveau », qui devaient précisément, dans l'esprit des communistes, faciliter une rapide déchristianisation de la Russie. C'est que l'Église avait des réponses à toutes les préoccupations spirituelles des masses ; elle fournissait une réglementation morale au moujik qui, bien avant les Frères Karainazof, avait déjà admirablement compris que « tout était permis, si Dieu n'existait pas ». Le bolchévisme peut-il se targuer des mêmes prérogatives ? Tandis que le plus humble des villageois sait à quoi l'on reconnaît un chrétien véritable, le parti communiste est encore incapable de donner une définition exacte de ses adeptes. A défaut d'autres critères, il envisage parfois la vérité sous un angle héréditaire ; il en fait l'apanage de l'aristocratie prolétarienne. Dangereuse équivoque I L'écrasante majorité des leaders communistes se compose de bourgeois dévoyés ; le père de Lénine lui-même avait un grade dans le Tchin, et la lignée des Tchitchérine remonte au xIve siècle. Toujours inquiet de retrouver le barine (Monsieur) sous le camarade, le moujik, lui, redoute d'instinct la formation d'une nouvelle noblesse, fût-elle issue du marteau et de l'enclume. Ce qui l'intéresse, comme en témoignent les mêmes numéros |