724 REVUE DES DEUX MONDES. Parce que, me fut-il répondu ; le Mollard est abandonné. Il n'y a plus personne. Il était jadis à l'extrémité de ma paroisse. Le dernier hameau, maintenant, c'est l'Écot. Et l'Écot se dépeuple. Je repris ma question sous une autre forme : - Pourquoi s'en va-t-on ? L'abbé Sauvère, ayant achevé son frugal repas, composé d'oeufs durs, de fromage et de pain, se leva et me proposa de monter avec lui jusqu'à ce Mollard qui m'intéressait. Nous emmenâmes avec nous Michel Gallice. De près, le hameau désert portait en effet les traces de la mort : les murs se lézardaient, les poutraisons des toitures fléchissaient, les plaques d'ardoise glissaient, les fenêtres se descellaient et les portes mêmes, vermoulues, avaient cédé à la pression des neiges. Sans nous lasser, nous fouillâmes toutes ces demeures, comme on s'arrête, au cimetière, devant les tombes délaissées. La plupart étaient nues à l'intérieur. L'une ou l'autre recélait encore quelque débris de mobilier, table boiteuse, chaise dépaillée, restes de vaisselle ébréchée, et même un crucifix de bois oublié avec une branche desséchée de buis bénit fixée en panache dans un des bras. Le buis tomba en poussière quand je voulus le cueillir. - Pourquoi s'en va-t-on ? répétai-je. Le site est plaisant : l'Arc au-dessous, la vallée qui s'ouvre et, sur nous, les glaciers suspendus. Il y a là-bas de belles prairies pour les troupeaux. - Oui, m'approuva Michel Gallice, on ne serait pas mal ici Et je constatai qu'il avait repéré la seule maison à peu près intacte, construite en belles pierres de taille. La pensée de créer un foyer le travaillait-elle enfin, maintenant qu'il était redevenu un homme libre ? - Pourquoi l'on s'en va ? me répliqua enfin le curé, en me prenant le bras, et je me sentis menacé, tant son étreinte était rude et son nez acéré et frémissant. Mais parce que le paysan n'aime plus la campagne. Le travail en plein air, la dépendance du temps qui oblige à interroger le ciel, l'union avec la terre qui réclame beaucoup de sueur, mais qui est maternelle en somme, et qui paye tout de même ses fidèles serviteurs, et surtout qui repose le coeur, la cervelle, les yeux, tout ce qui chez l'homme a le plus besoin de paix et en cherche le moins, c'est |