L'HISTOIRE, VOILA L'ENNEMIE 0 N a beaucoup reproché au Second Empire son peu de goût pour la philosophie. Notre République va-t-elle déclarer la guerre à l'histoire ? Le mouvement est parti des instituteurs. Il a trouvé des théoriciens parmi ceux que M. Charles Benoist appelle les purs entre les purs. Le péril est si réel que l'Académie française, ayant à choisir un sujet pour le Prix d'éloquence, s'est arrêtée à celui-ci : Nécessité ee l'histoire dans l'enseignement national. De son côté, M. Camille Jullian, ouvrant son cours au Collège de France, s'est cru obligé de consacrer toute une leçon à défendre la science qui lui est chère contre une agression en règle. Nous en sommes là ! M. Jullian n'est pas suspect. Ce n'est pas un suppôt de la réaction. Dans cette même leçon inaugurale, il ne nous cache pas ses sentiments à l'égard des rois, des empereurs, de leurs conquêtes et de leurs coups d'État : il en pense exactement ce qu'en pensait Victor Hugo, qui n'avait pour eux aucune estime. Mais il sait un peu ce que c'est que l'histoire, pour lui avoir consacré toute une vie de labeur. On peut le croire quand il lui fait, par dessus tout, honneur de sa « valeur morale. » Le jour où vous aurez, d'un trait de plume officiel, rayé de l'enseignement les études historiques, que deviendra l'humanité elle-même ? « Nous ne serons plus dans le temps éternel que de misérables épaves, détachées brutalement de l'ouvrage des siècles, allant à la dérive sans espoir d'atteindre un rivage, et condamnées à disparaître sous les vagues des heures impitoyables. La chaîne de l'humanité vivante sera pour toujours brisée. » Et ce sont des « humanitaires » qui rêvent de ce crime contre l'humanité ! C'est que l'histoire est la science des faits : elle gêne les idéologues de la IIIe Internationale. On connalt le mot de Lénine immolant une nation tout entière sur les autels de l'abstraotion : « Tant pis pour la réalité ! » Mais contre l'histoire, ils ont un autre et pire grief. N'est-ce pas elle qui nous rappelle nos devoirs envers ceux qui nous ont précédés sur un même sol ? N'est-ce pas elle qui nous apprend à aimer, à travers ses épreuves et ses luttes, ses grandeurs et ses souffrances, le pays où nous sommes nés ? Elle est la mère de l'idée de patrie. Voilà ce que les sans-patrie ne lui pardonnent pas. Ils déclarent ouvertement, — et il faut remercier M. Jullian d'avoir fait parvenir jusqu'à nous ce cri de guerre : « L'histoire qui raconte le passé, qui expose ce qu'a fait la France, l'histoire est la rivale, est l'ennemie. Supprimons-la : ce sera peut-être avancer l'heure où on pourra supprimer la France. » La Revue des Deux Mondes commencera dans son prochain numéro : UNE DESTINÉE JEAN PERBAL par M. LOUIS BERTRAND Toute traduction ou reproduction des travaux de la Revue des Deux Mondes. esl interdite dans les publications périodiques de la France et de l'Étranger, y compris la Suède, la Norvège et la Hollande. |