6 vivre en harmonie N°114/MAI 2020/UN JARDIN POUR DEUX À Lille, Gaëlle prête depuis cinq ans son jardin à des personnes heureuses de cultiver un bout de terre. Partager son potager est une expérience enrichissante et l’occasion de belles rencontres. PAR ISABELLE MARCHAND POUR INITIATIVE SOLIDAIRE un jardin caché, invisible de la rue. La porte C’est d’entrée passée, un long couloir de briques encombré de matériaux mène à la cour fleurie de la maison. Les herbes, les fleurs sauvages, les roses trémières y poussent entre les dalles de béton. Fuchsias, verges d’or, jasmins et lupins y déploient leurs couleurs. Dans ce havre de verdure, en plein cœur d’un quartier périphérique de Lille, un jeune bouleau, pris d’assaut par un liseron grimpant, propose une ombre légère. « Ici, s’ouvre mon territoire, dit Gaëlle, la propriétaire du lieu. Plus loin, se trouve celui de mes poules. Au-delà des groseilliers, des framboisiers, de la serre à tomates, c’est l’espace des possibles. » PRÊTER LA MOITIÉ DE SON JARDIN Cette jeune retraitée, ancienne architecte d’intérieur, peintre et artthérapeute possède un jardin de 100 m². Elle en prête la moitié à des personnes qui ressentent le besoin d’un lien avec la terre. « Être humain, dit-elle, n’est-ce pas laisser en soi une part en friche pour accueillir l’inconnu ? L’inconnu est, à mon sens, ce qui nous sauve de nous-mêmes. Que sommes-nous si nous mettons des verrous à chaque regard ? Chaque rencontre permet une aventure humaine, toujours riche même si certaines s’achèvent rapidement. » Gaëlle a trouvé « son » premier jardinier au rayon « sécateurs » d’un supermarché. Elle hésitait entre plusieurs outils, Mohammedl’a conseillée. Jardinier de profession, il n’avait plus de jardin à cultiver, aussi lui a-t-elle proposé une parcelle du sien. « Nous avons travaillé à deux, plusieurs mois. Il m’a beaucoup appris, mais je le trouvais un peu trop directif. Nous avons mis fin à l’aventure, mais ça ne m’a pas découragée. » Gaëlle a rencontré « Gigi » par une association du quartier. Dotée d’une étonnante énergie, Gisèle avait besoin d’être entourée de fleurs. « Elle me disait : ‘‘Toutes les fleurs sont les bienvenues, comme les enfants. Qu’elles soient sauvages, plantées ou non désirées.» Elle a façonné un jardin très poétique. » Gigi est restée deux ans, jusqu’à son « Lorsque je prête mon jardin, j’offre un espace de liberté que chacun adapte à sa guise. » départ en maison de retraite. « Lorsque je prête mon jardin, j’offre un espace de liberté que chacun adapte à sa guise. Mais j’ai vite ressenti le besoin de préserver mon intimité, de poser un cadre précis avec, pour les jardiniers, des limites à ne pas franchir. » LES CANARDS ET LES LIMACES Plus un contrat est clair, plus le partenariat fonctionne bien. Gaëlle l’a appris à ses dépens avec un jeune couple, qu’elle nomme « Monsieur le musicien et Madame la danseuse ». « Ils avaient lu que les canards mangeaient les limaces, ils voulaient tenter l’expérience. Nous avons élevé ensemble sept magnifiques ‘‘coureurs indiens». Mais les canards écrasaient les jeunes pousses et, surtout, le jeune couple manquait de discrétion. Le dimanche, tous leurs copains défilaient dans mon jardin. » Aurélie, la doctorante en sociologie qui les a remplacés, était, elle aussi, en recherche d’expérimentation. Entre les deux femmes, la relation fut d’emblée plus confiante. « Aurélie PRATIQUE VOUS PRÊTEZ VOTRE JARDIN LE PÈLERIN N°7086 ADOBE STOCK L’ACTU À VISAGE HUMAIN 1 Écrire noir sur blanc ce que vous souhaitez pour vous et votre jardin : par exemple pas de pesticides,utilisation raisonnée de l’eau, partage de la récolte, (en général autour de 20%) et posez des limites pour le respect de votre vie privée. 2 Décidez un emploi du temps et prévenez le jardinier si le terrain n’est pas accessible certains jours. 3 Partagez vos outils, l’achat des graines et des plants. 4 Discutez avec le jardinier pour savoir s’il compte venir seul s’occuper du jardin ou bien s’il sera accompagné par un conjoint, des amis, des enfants. 5 Toutes ces informations doivent faire l’objet d’un contrat signé par les deux parties. N’oubliez pas de demander au jardinier une copie de son contrat d’assurance en responsabilité civile. 6 3 sites pour partager votre jardin ou votre potager : www.pretersonjardin.com www.jepartagemonjardin.com www.plantercheznous.com attendait des conseils. Elle a mis beaucoup d’énergie à défricher et voulait semer des graines, les voir pousser. Elle posait des parapluies au-dessus des tomates pour les protéger de la pluie ! Son jardin était envahi par les plantes sauvages : elle ne voulait pas les arracher par peur de leur faire du mal. » Depuis le début de l’été, c’est Camille, un Lillois de 30 ans, consultant en communication, nostalgique du vaste potager de ses parents, qui a repris le jardin. Lors de sa première visite, il a cueilli avec Gaëlle un plein panier de cerises. Il a repéré l’orientation du soleil et des vents, posé un filet au-dessus des carottes pour les protéger, planté des radis. Depuis, il vient deux fois par semaine pour se ressourcer. Et compte redessiner quelques belles lignes pour ses semis d’automne. – WWW.LEPELERIN.COM |