2 l’âme à vif N°114/MAI 2020/CLARISSE CRÉMER AVANCE AU LARGE Lancée dans la course au large en 2016 avec très peu de bagage nautique mais une grosse volonté d’apprendre, Clarisse Crémer est aussitôt récompensée par une belle deuxième place sur 55 concurrents à la Mini-Transat 2017 : une traversée de l'Atlantique à la voile, en solitaire et sans assitance. En 2019, elle est passée professionnelle et s'est lancé de nouveaux défis... PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER En 2019, Clarisse a intégré le prestigieux Team Banque Populaire et passé l'année à disputer des courses en double avec Armel Le Cléac’h. Avec cette équipe déjà victorieuse en 2016, elle prépare son premier tour du monde en solitaire : le Vendée Globe 2020. Bonjour Clarisse, parlez-nous de votre carrière de navigatrice : où en étiez-vous lorsque l’épidémie s’est déclarée en France ? J’étais à Lorient, prête à mettre mon bateau à l’eau après plusieurs mois de chantier... Comment avez-vous vécu l’obligation de rester à terre et d’interrompre vos entraînements ? J’étais forcément très déçue de devoir reporter le beau programme d’entrainement qui m’attendait avant deux transatlantiques en solitaire aux mois de mai et juin. C’est un peu particulier d’avoir remplacé de longues semaines intenses de navigation contre du confinement, mais j’ai néanmoins vraiment à cœur de relativiser, car ce n’est que du bateau. Par rapport à la crise globale qui est en cours, c’est vraiment peu de chose ! Vous qui êtes navigatrice en solitaire, vous devez être habituée à ces conditions de vie… On compare souvant la vie en mer en solitaire et le confinement que nous vivons tous actuellement, mais il faut noter une différence essentielle : lorsque je pars en mer, je l'ai choisi, c'est un événement très positif pour moi, en dépit des difficultés que je peux rencontrer au large. Ce confinement est subi et certaines personnes sont dans des conditions compliquées. Je ne veux donc pas faire de parallèles douteux. Pour moi, le plus gros point commun, c'est la sensation de vivre hors du temps : chaque journée, chaque heure, a sa valeur, sans vraiment de hiérarchie. En mer, les notions de week-end, de jour et de nuit, n'existent pratiquement plus. On a beau faire des stratégies et des plans divers, on vit au jour le jour. C’est un aspect psychologique extrêmement enrichissant que de vivre chaque instant pour ce qu’il est. Racontez-nous le quotidien à bord d’un voilier de course. C’est un très vaste sujet ! On est à la fois très routinier, car il y a beaucoup de tâches répétitives à accomplir : la météo, manger le mieux possible, dormir par tranches courtes (dix à quinze minutes lorsque l’on est près des côtes et jusqu’à quarante-cinq minutes au large), surveiller son bateau, réparer, manœuvrer… Et, à la fois, tout peut arriver, on ne choisit pas les variations du vent ! Tout peut changer en un instant et une journée supposée calme peut devenir très compliquée si un pépin technique arrive ! Quelle est la quantité d’eau, de nourriture, de livres ou de coups de téléphone que vous vous autorisez à bord ? C’est très variable en fonction des courses et du bateau. Sur le Vendée Globe, je pars avec quatre-vingt-dix jours de nourriture. J’ai bien évidemment des rations de survie renfermées dans un sac étanche à emporter avec moi si je dois abandonner le bateau. Je produis mon eau avec « Chaque journée, chaque heure a sa valeur » SON PALMARÈS Née en 1989, diplomée d'HEC Paris en 2013, Clarisse Crémer participe à son premier Championnat de France Espoir de course au large en 2016. Elle franchit la ligne d'arrivée à la deuxième place dès l'année suivante et s'impose dans la Transgascogne et la Mini-Fastnet. En 2018, elle participe à la Transat AG2R-La Mondiale avec son fiancé Tanguy Le Turquais. En 2019, elle participe à sa première Solitaire Urgo Le Figaro et à la Transat Jacques-Vabre ou « Route du café » (photo) en classe Imoca, en duo avec Armel Le Cléac'h, sur le monocoque Banque Populaire X (6 e place au classement général et première de leur catégorie). un dessalinisateur, j’emporte beaucoup de livres sur une liseuse (le papier pèserait trop lourd), pour me changer les idées. Trois mois en mer, cela laisse un peu de temps... Grâce au téléphone – un cadeau extraordinaire de ce monde moderne –, je peux rester en lien avec la terre presque aussi bien que tout le monde. Il faut être vigilant pour ne pas devenir accro à ce réconfort lorsque l’on est seul en mer. Entre les sollicitations des médias, de l’organisation de la course, du sponsor et de l’équipe technique, les contacts avec la terre sont fréquents et parfois un peu lourds à gérer avec un gros bateau dans les mains. Quelle est l’importance, à vos yeux, de ces petits liens avec le reste du monde ? Cela dépend des courses : certaines se passent sans moyen de communication. Dans ce cas, on ne peut qu’imaginer la vie à terre. C’est un phénomène assez puissant, où l'on se plonge de façon très émotive dans les souvenirs et les échanges passés avec ceux qui nous sont chers. La course au large en solitaire est intéressante dans la gestion même de cette solitude. Il faut être très volontaire pour ne pas trop se reposer émotionnellement sur les autres. Quel conseil donneriez-vous à nos lecteurs pour KTO LA TÉLÉVISION CATHOLIQUE - WWW.KTOTV.COM VINCENT CURUTCHET/BPCE |