I SONO MUSIQUES TONNE Bien trop classe pour être underground et beaucoup trop pragmatique pour être cool, voici le paradoxe Giant Sand. SABLE ÉMOUVANT Si on tenait un sondage à la fois chez les lecteurs de la presse musicale et chez les journalistes du milieu, la question qu’il paraît indispensable de ne plus jamais poser à un groupe est sans aucun doute possible : « Hey, ça veut dire quoi le nom de ton groupe ? » Ici, ce choix permet précisément de résumer tout ce qu’est Giant Sand. De savoir que le nom intégral fut, à l’origine, Giant Sandworms, une référence nerd au Dune de Frank Herbert. Un emprunt qui laisse deviner un travail plein de curiosité et un regard appuyé sur plusieurs horizons. Comme Frank Herbert l’écrit justement dans sa saga, « celui qui contrôle l’épice contrôle le monde ». Une recette identique régit la dynastie de la musique indépendante. Or, Howe Gelb peut fièrement se vanter de n’avoir jamais été ni terne ni prévisible, car Giant Sand, c’est lui, entouré d’un perpétuel tourbillon de musiciens. Vingt-neuf albums en trente ans, cachant un abattage prolifique et des trous d’air plutôt qu’une constance militaire. Gelb y sonne à la fois comme un maître artisan, un ingénieur surqualifié de sa propre discipline et un marginal bricolant un truc cheap dans son coin. Une classe infernale qui se transforme en minimalisme anonyme selon l’angle sous lequel on l’observe. « Looking like an accident waiting to happen » (NdR : « Comme un accident qui attend son heure pour se produire ») comme il le dit dans la chanson Pathfinder et qui pourrait bien suggérer un idéal de composition. Une telle science de la sortie de route, tout en trompel’œil, définissant au mieux la formation. Arnaud d’Armagnac Winter Camp Festival #4 Giant Sand + Junius Meyvant + Pain-Noir, mercredi 9 décembre, 20h, Krakatoa, Mérignac. www.krakatoa.org 10 JUNKPAGE 29/décembre 2015 Omer Kreso Longtemps, les membres d’Editors ont hésité avant de choisir définitivement leur nom. Formé sous alias Pilot, le groupe devient The Pride un an plus tard, avant d’adopter Snowfield comme patronyme qu’il conservera jusqu’à opter pour Editors en 2004. Mais cette fois, c’est le bon. COPY RIGHT Onze ans et quatre albums plus tard, Editors propose toujours ce rock sombre et lyrique, pas loin des envolées héroïques façon Echo and The Bunnymen, mais aussi, bien sûr, de Joy Division. Un rock personnel qui les révéla en première partie des tournées de Franz Ferdinand qu’ils accompagnèrent à travers l’Europe. Dès le premier album, la formation annonçait la couleur : crépusculaire. Résultat : 500 000 exemplaires vendus et nombre de grands festivals (Lollapalooza, Glastonbury, Reading, Eurockéennes...) jusqu’à rencontrer REM le groupe qui les a le plus influencés. Ils assureront la première partie des Georgiens et reprendront même le single Orange Crush sur disque. En appelant Mark « Flood » Ellis à la production de leur troisième album, ils adoptent une direction totalement vouée aux machines, et le synthétiseur règne sur tout le disque au détriment des guitares. Un album (notamment la chanson titre) propre à générer à la première écoute une adhésion immédiate par son lyrisme incandescent. Le grand retour en grâce des années 1980 accompagnera sa sortie, avant l’autre retour annoncé, celui des guitares, acoustiques et électriques, promises plus présentes sur scène. Les récents concerts confirment cette volonté. Pour le plus grand ravissement des fans peut-être... José Ruiz Editors, mardi 15 décembre, 20 h 30, Le Rocher de Palmer, Cenon. lerocherdepalmer.fr Rahi Rezvani Membre forcément privilégié du club privé des initiales « BB », Bertrand Belin assoit patiemment sa place au pays d’une certaine chanson française. Un cinquième album en guise de bagage pour escale atlantique. LIGNE CLAIRE Sa voix de rogomme contraste étonnamment avec son avenant physique, mais le natif de Quiberon n’est pas à un paradoxe près. Dandy néo-parisien de modeste ascendance, entré dans la carrière sur le tard, Belin dégage un je-ne-saisquoi de Manset, l’ermite à la froideur marmoréenne, bien que ses racines plongent volontiers dans le terreau nordaméricain. On l’imagine frère d’armes d’une certaine génération (Julien Baer, Bertrand Betsch, Florent Marchet), mais, au bout du compte, hormis Dominique A, avec lequel il partage aussi la tentation du romancier, on ne sait trop si le petit jeu des affinités électives a bien du sens. Du côté des aînés, on songe à Murat et Silvain Vanot — les hérauts du folk d’ici. En fait, ce qui compte, c’est le mot. Ou plutôt son économie tant le quadra rabote à l’os sa langue natale pour obtenir, avec le temps, l’expérience ou le métier (rayer ici la mention inutile), une espèce de forme plus proche du haïku que de la phrase façon Chateaubriand, cet autre Breton. De l’éponyme Bertrand Belin au récent Cap Waller (lieu purement fantasmatique), voilà déjà dix ans en solitaire. Pourtant, des vies il y en eut. Pour le cinéma, la danse et les collègues (JP Nataf, Albin de la Simone, Bastien Lallemant, le spectacle Imbécile d’Olivier Libaux). La critique bienveillante l’accompagne, son public, aussi, fidèle. Toutefois, on devine qu’il n’y aura — hélas ? — jamais de malentendu mainstream comme feu Bashung ; soit un destin à la marge comme, au hasard Balthazar, Arman Méliès. Quoi qu’il en soit, la marge, c’est ce qui tient les lignes. Marc A. Bertin Bertrand Belin, jeudi 3 décembre, 19h, Krakatoa, Mérignac. www.krakatoa.org Ph. Lebruman |