Interview On a l’impression que vous faites une sorte de préparation mentale en nous racontant tout ça. P.H. : Là, je suis en train de vous parler, mais il est évident que je me parle aussi à moi-même. À chaque fois que je parle de golf, ça me sert de rappel. Peut-on parler d’obsession vous concernant ? P.H. : Oui, ça a toujours été le cas. J’ai eu besoin de travailler dur pour m’écarter un peu du golf, et c’est encore le cas aujourd’hui. Je joue tous les jours, je m’entraîne, je vais à la gym, je pense au jeu… J’ai une femme et deux enfants qui me permettent de souffler un peu et d’arrêter de penser à ce qui m’attend. Mais il faut que j’organise ces périodes où je ne pense plus au golf. Si je me laisse aller, j’y pense 24 heures sur 24 et sept jours par semaine. Par exemple ? P.H. : Quand je regarde un film, je pense au golf dès qu’il y a une coupure publicitaire. Ou si je suis avec des amis et qu’ils vont préparer le thé et les biscuits, hop, je me mets à penser au golf. Je ne suis pas le gars le plus sociable du monde le soir. Mais c’est une discipline à avoir. Par exemple : pourquoi j’ai une carrière plutôt pas mal aux États-Unis comparé à d’autres joueurs européens ? Parce que j’ai un ami avec moi quand je suis là-bas. Il fait le caddie pour moi, certes, mais c’est surtout mon meilleur ami. Tous les deux, on a décidé que la journée de travail se terminait à 18 heures. Est-ce qu’ensuite on va rester chacun dans notre chambre à ruminer ? Aucune chance. On met le nez dehors. Et la raison pour laquelle pas mal de joueurs européens se sont plantés aux États-Unis est là : ils ne connaissent pas grand monde, restent dans leur chambre et commandent un room service, puis ils regardent les murs et se mettent à penser à leur golf. Ce n’est pas vraiment le bon style de vie. Avec mon ami, on va dîner, on voit des gens, bref on fait n’importe quoi sauf rester dans notre chambre. Ça nous aide à ne pas devenir fous. Je dis même que rester dans sa chambre, c’est la pire chose qu’un golfeur professionnel puisse faire. Il commence à penser aux putts qu’il a manqués, et tout le reste… La chambre d’hôtel, c’est un endroit bien trop isolé. Il y a des moments où vous avez failli devenir fou ? P.H. : Je dirais que j’ai plutôt un bon équilibre de vie, mais que je dois le surveiller. Plein de gens peuvent penser que je suis quelqu’un d’obsessionnel, mais je ne dirais pas ça. Je dois vraiment faire attention, parce que c’est très facile de basculer du mauvais côté. Je suis conscient que ce n’est pas bon de penser au golf tout le temps. J’aime encore ce jeu, j’aime penser à ce jeu, et j’aime me lever le matin pour aller jouer à ce jeu. Je ne suis absolument pas cramé. Ça n’a pas trop d’incidence sur votre vie privée ? P.H. : Non, ma femme voyage avec moi sur quinze tournois, les enfants sur douze, et j’en joue une trentaine dans l’année. Mes enfants sont allés dans le monde entier, c’est plutôt cool pour eux. Et le surnom de ma femme, c’est Ceefax. Vous savez ce qu’on appelle Ceefax ? C’était le service de télétexte sur la BBC. Ma femme est surnommée ainsi parce qu’elle sait tout, absolument tout ce qui se rapporte au golf. Parfois, des joueurs lui demandent où il faut aller jouer pour améliorer plus facilement son classement mondial… C’est un peu comme une équipe, chez moi. Mais quand vous scorez 78 et que vous rentrez chez vous, ce n’est pas trop sinistre ? P.H. : Ma femme est plutôt douée quand il s’agit de me botter les fesses pour me dire : « Hé, ressaisis-toi ! » Mon père était comme ça, lui aussi, quand j’étais plus jeune (il est décédé en 2005). J’allais le voir et je lui disais : « J’arrive pas à croire que j’ai eu ce mauvais rebond ! », ou « Ah là là, pauvre de moi ! » Et lui m’écoutait et savait remettre les choses en perspective. Il disait : « Allez, il y aura des jours meilleurs… », ou « ça ne va pas si mal », ou « ne sois pas trop dur avec toi-même » … Maintenant, c’est ma femme qui fait ce boulot, et c’est très important. Chaque jour, j’ai besoin de parler de ma journée de golf pendant 15 ou 20 minutes à quelqu’un, pour débriefer. Et je peux le faire avec elle. Ça m’enlève un bon poids des épaules, à chaque fois. Je connais des joueurs qui ramènent leurs problèmes chez eux parce qu’ils n’ont personne à qui en parler. Ça fait 23 ans que je la connais et je m’estime très chanceux. Vous avez déclaré en début d’année : « Mes 13 premières années professionnelles, je les ai vécues dans la peur. » Pouvez-vous développer ? P.H. : Je ne suis pas passé professionnel parce que je m’estimais assez bon pour ça, mais simplement parce que j’étais plus fort que les autres joueurs amateurs. Mon but, au début, c’était d’être un « journeyman » (joueur moyen qui garde sa carte bon an mal an) pour payer mes dépenses et mes emprunts. Jouer dix, quinze ans sur le Tour, finir chaque année entre la 50e et la 70e place… Hey ! C’est une forme de succès non ? Puis j’ai démarré assez fort, avec quelques bonnes semaines et une victoire dès ma onzième semaine de compétition. Et là, c’est comme si on m’avait mis des œillères, et j’ai foncé. Et il m’a fallu deux ans avant de souffler et pouvoir dire : « Bon, ça, c’est mon monde. » Deux ans à simplement ne pas arriver à croire en ma chance d’être ici, vraiment. Et ensuite, chaque hiver de ces treize premières années, je me demandais : « Est-ce que ça va encore le faire cette année ? » Puis au bout de ces treize ans, je me suis senti capable de comprendre pourquoi certains avaient du succès, et je me suis senti capable de me reconnaître certaines qualités. Mais pas avant. 26 |