18 – Interview Par Paul Firmin Photos DR & RC – L’ami de la famille Après sept présences cannoises dont cinq en Compétition, le cinéaste japonais Hirokazu Kore-Eda a enfin gagné la Palme d’or pour Une affaire de famille. Logique ? Légitime ? Injuste pour les autres ? L’heure du bilan ? Il répond. C’est une satisfaction de voir son meilleur film accéder à la récompense suprême ? — Déjà, est-ce que c’est vraiment mon meilleur film ? Certains le disent, ce n’est pas forcément une raison pour les croire. Ils y voient sans doute des choses qui ne m’appartiennent pas. Il se trouve simplement que certains films sont plus adaptés que d’autres aux accolades officielles. À Cannes, vous l’avez sans doute remarqué, il est fréquent que les films avec un fond social fonctionnent bien. Si l’on regarde lesquels de mes films y ont le mieux figuré, on tombe sur Nobody Knows (des enfants abandonnés, Prix d’interprétation pour le jeune garçon Yûya Yagira en 2004), Tel père, tel fils (des enfants échangés à la naissance, Prix du jury en 2013) et Une affaire de famille (un père et une mère entraînent leurs enfants à la petite délinquance, Palme d’or 2018) qui ont en commun de traiter le thème de la famille sous l’angle du fait divers. Vous est-il difficile d’échapper à l’idée communément admise de ce à quoi est supposé ressembler un film de Kore-Eda ? — J’essaie de rester libre de mon inspiration et de mes centres d’intérêt. Sinon, à quoi bon ? Mon prochain projet est un film français avec Catherine Deneuve. Le précédent, The Third Murder, était un polar judiciaire très éloigné des films dont on parlait à l’instant. Même dans mes films dits « de famille », je varie beaucoup la perspective, entre une forme d’hyperquotidienneté, très proche des personnages, comme dans Still Walking ou Après la tempête, et des projets où le contexte de la société japonaise est plus dessiné. Après, si vous me demandez comment j’ai vécu le rejet de The Third Murder, disons que j’ai été bien obligé d’en prendre acte, laisser à quel point il a été sans appel… Une affaire de famille bénéficie pourtant de cette expérience dans un cinéma plus sombre, presque tragique. — Oui, et c’est une bonne leçon, la preuve qu’il faut toujours suivre son instinct de cinéaste : à un moment ou à un autre, un film considéré comme un échec finit par être le socle d’une réussite… En l’occurrence, certains éléments de la dynamique narrative d’Une affaire de famille en font un film plus noir qu’il n’y paraît initialement. Il est important pour vous de préserver une dimension de surprise avant que les gens ne découvrent le film ? — Autant que faire se peut, c’est ce que nous avons décidé, oui. On se contente de dire qu’une famille de petits délinquants recueille une fillette battue, mais on ne va pas plus loin. Après, moi, ça ne m’a jamais trop dérangé de connaître les rebondissements d’un film avant de le voir. Je m’attache davantage à l’exécution qu’à l’intrigue proprement dite. Sauf si quelqu’un vous dit le coupable dans un whodunit, comme le faisait systématiquement ma mère quand j’étais petit. À propos de mère, celle d’un grand nombre de vos films, l’actrice Kirin Kiki, nous a quittés cet été. — Oui. Sans elle, mes films ne seront plus jamais les mêmes. Franchement, je ne sais pas ce que je vais devenir, ni comme homme ni comme cinéaste. Elle laisse un vide immense dans ma vie, que je n’ai même pas commencé à mesurer. Une affaire de famille Sortie le 12 décembre. |