L E DOSSIER Reviens, la nuit L’IGN réalise des prises de vue aériennes nocturnes pour les collectivités. L’enjeu : créer des trames noires pour assurer aux espèces nocturnes un maillage de corridors peu éclairés, jusqu’en zone urbaine. Orthophotographie nocturne de la ville de Genève. Les autorités ont engagé la réflexion sur la réduction des émissions lumineuses nocturnes pour restaurer des continuums non éclairés en réponse au déclin alarmant des populations de chauve-souris. Romain Sordello Expert trame verte et bleue et pollution lumineuse à l’UMS PatriNat (OFB-CNRS-MNHN) Quelles sont les conséquences de la pollution lumineuse sur la biodiversité nocturne ? Au même titre que des barrières physiques, la lumière se dresse en obstacle pour un grand nombre d’espèces animales terrestres. La pollution lumineuse qu’elle génère conjugue notamment la fragmentation des habitats, la baisse de la pollinisation, de nombreux dérèglements biologiques mais aussi démographiques. 14/IGN MAGAZINE/PRINTEMPS 2020 3 Q U E S T I O N S À Pour aider les collectivités à appréhender l’impact de l’éclairage artificiel, l’IGN réalise des cartes à partir d’orthophotographies nocturnes. « Nous avons lancé les premières expérimentations en 2008 pour les gestionnaires d’éclairage public soucieux d’optimiser leur consommation, explique Sylvain Airault, chef du service d’imagerie et de l’aéronautique à l’IGN. Nous avons été rattrapés par l’irruption dans le débat public du concept de trame noire. » Vers une science de l’éclairage ? Pour conjurer le risque d’images floues lié à un temps d’exposition plus long que de jour, l’IGN a mis au point des caméras capables de corriger automatiquement le mouvement de l’avion. Les photos sont assemblées à partir des données de localisation. Les premières cartes ont été produites pour l’Île-de-France, Metz, Genève et Nantes. Pour cette dernière, un retraitement a été proposé par le Cerema 1. Il distingue en noir sur une carte jaune les secteurs où la luminosité est inférieure à 3 sur une échelle de 10. Une carte très facile à superposer aux inventaires des espèces naturelles et aux plans d’urbanisme. « La trame noire est au centre des débats sur l’élaboration de notre schéma de cohérence d’aménagement lumière, reconnaît Dany Joly, responsable de l’éclairage public à Nantes Métropole. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre sécurité et environnement. Dix-neuf de nos 24 communes pratiquent déjà les coupures partielles en cœur de nuit avec un effet visible sur les photos aériennes. Le déploiement progressif des sources à luminosité modulable va élargir le champ des possibles. » Restera ensuite aux biologistes à vérifier l’efficacité d’une « science » de l’éclairage qui n’en est encore qu’à ses premiers pas… 1. Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement. Il s’agit d’un organisme public. En quoi consiste la trame noire ? À l’image de la trame verte et bleue, la trame noire a pour but de mettre le milieu naturel en réseau pour que les animaux puissent se déplacer sans contrainte. Mais dans ce cas précis, ces nouvelles continuités écologiques intègrent, dès le départ, la dimension nocturne du milieu. Quelles mesures ou solutions peuvent être mises en place par les collectivités ? La limitation de l’éclairage dans de nouvelles zones urbanisées, de sa durée ou de son intensité à certaines heures de la nuit sont des solutions parmi d’autres en cours d’expérimentation. Les mesures à prendre sont alors fonction de chaque contexte spécifique et des différents enjeux. |