Science et croyance « Chaque nouvelle génération doit réfléchir à ce qu’elle croit » La délimitation entre croyance et connaissance est également difficile dans la science. L’historien des sciences Michael Hagner y reconnaît à la fois un défi et une opportunité. Interview : Nic Ulmi Michael Hagner, les croyances jouent-elles un rôle dans l’histoire des sciences ? Je distinguerais deux types de croyances. Le premier est banal : c’est la confiance que chaque scientifique accorde aux résultats des autres. Comme on ne peut pas reproduire toutes les expériences dont on lit le compte rendu, on s’appuie sur la croyance que la méthodologie et les données de nos confrères et consœurs sont correctes. Cette confiance, sans laquelle la science ne pourrait pas fonctionner, doit être distinguée des croyances religieuses, culturelles, politiques et sociales. Cette deuxième catégorie a également joué un rôle dans l’histoire des sciences, avec des effets à la fois positifs et négatifs. COMMENT LES PRIONS ONT FAIT TOMBER UN DOGME Les maladies déclenchées par les prions ont de longues incubations et sont toutes fatales. Ces protéines mal repliées entraînent une dégénérescence du cerveau chez les animaux et les humains. Il en résulte différentes maladies, dont la tremblante du mouton, l’ESB connue comme maladie de la vache folle ou la maladie de Creutzfeld-Jakob chez l’humain. Alors qu’aujourd’hui il est largement admis que ces affections sont dues aux prions, en 1982 avait éclaté une longue guerre de croyances entre chercheurs pour déterminer si les protéines modifiées étaient vraiment à l’origine du mal. Texte : Judith Hochstrasser Illustrations : 1kilo Où les effets négatifs étaient-ils particulièrement marqués ? Dans l’histoire des neurosciences, une croyance particulièrement néfaste a conduit à vouloir localiser dans le cerveau des catégories comme le sexe et la race, afin d’utiliser l’autorité des neurologues pour justifier l’affirmation selon laquelle les femmes seraient inférieures aux hommes et les peuples non européens inférieurs aux peuples européens. Ces idées ne sont pas un simple accident de l’histoire des neurosciences, elles orientent la recherche depuis la fin du XVIIIe siècle. La mesure – ou mal-mesure, selon le terme de Stephen Jay Gould – des crânes, des cerveaux, des circonvolutions corticales et de LE DOGME jusqu’en 1982 Louis Pasteur et Robert Koch ont reconnu le rôle de diverses bactéries au XIXe siècle. Plus tard la biologie a suivi le credo : tous les agents pathogènes contiennent du matériel génétique. la cytoarchitecture du cortex visait en partie à évaluer les différences intellectuelles et morales supposées entre les sexes et entre les races. L’expérience traumatique de l’Holocauste a conduit les neuroscientifiques à réfléchir davantage à leurs propres croyances. Mais chaque nouvelle génération de scientifiques doit entreprendre cette réflexion. Les neuroscientifiques d’aujourd’hui devraient avoir conscience des pièges du passé et faire preuve de prudence dans leurs affirmations. Les convictions de l’époque n’ont-elles plus d’influence ? Si. La notion de race a certes été largement abandonnée entre la fin des années 1940 et L’HÉRÉTIQUE 9 avril 1982 Le biochimiste américain Stanley Prusiner renverse ce dogme avec sa théorie des prions. Dans une étude parue dans Science, il affirme comme auteur unique que la tremblante du mouton est déclenchée par des protéines modifiées. Or, les protéines n’ont pas de matériel génétique. Plus tard il explique : soudain, ces protéines changent de conformation comme un parapluie retourné par la tempête. Les prions seraient aussi responsables d’autres maladies inexpliquées telles que l’ESB. |