Biologie et médecine 34 Horizons n o 122, septembre 2019 Porc qui rit, porc qui pleure Comment reconnaître la joie ou la souffrance chez les animaux ? Les spécialistes des émotions animales testent les approches connues et en inventent de nouvelles. Par Simon Koechlin La joie, le trac, la déception : les sentiments déterminent notre vie. Et pas seulement la nôtre. Les animaux ressentent eux aussi des émotions. Charles Darwin l’avait thématisé il y a près d’un siècle et demi, mais « même après, les chercheurs ont considéré encore longtemps les animaux comme des machines », souligne la physiologiste Elodie Briefer, qui est passée de l’ETH Zurich à l’Université de Copenhague. « L’étude de leurs émotions n’a commencé que dans les années 1990. » Les travaux sur les émotions animales n’ont cessé de se multiplier. Non seulement parce que le sujet est captivant, mais aussi parce que « distinguer les émotions positives des émotions négatives constitue l’essence de la protection des animaux », note Hanno Würbel, professeur en protection des animaux à l’Université de Berne. Vaste tâche : si le propriétaire d’un chien qui tremble et gémit remarque facilement que quelque chose ne va pas, l’état émotionnel des animaux reste très difficile à évaluer. Pouls bas : calme ou dépression ? Comme on ne peut pas simplement demander aux animaux ce qu’ils ressentent, les scientifiques s’appuient sur des indicateurs, telles les réactions neurophysiologiques à des stimuli spécifiques, en particulier les modifications de la fréquence cardiaque ou de l’activité cérébrale. « Ces études offrent l’avantage de se baser sur des mesures précises, mais il faut souvent les interpréter avec prudence », dit Lorenz Gygax, qui a travaillé au Centre spécialisé dans la détention convenable des animaux de rente de Tänikon, en Thurgovie, et qui poursuit ses recherches à l’Université Humboldt de Berlin. A Tänikon, une doctorante s’était basée sur les battements du cœur pour examiner la réaction des chèvres lorsqu’elles arrivent dans un nouveau groupe. « Le rythme cardiaque diminuait, mais pas par insouciance : dans leur nouvel environnement, les chèvres se repliaient totalement sur elles-mêmes et restaient couchées ; elles osaient à peine bouger. » Les changements de comportement de cette nature constituent un moyen supplémentaire de mesurer les émotions. Elodie Briefer étudie en particulier les vocalisations par lesquelles les animaux communiquent leurs émotions à leurs congénères. Elle a ainsi découvert que les chevaux hennissent sur deux voix. Chaque hennissement conjugue deux fréquences fondamentales indépendantes. « L’une d’elles indique s’il s’agit d’une émotion négative ou positive, l’autre donne son intensité », précise la chercheuse. Leurs congénères ne sont ainsi pas les seuls à pouvoir déterminer si un animal va bien ou mal. Les hommes qui les connaissent bien y parviennent également. « Distinguer les émotions positives des négatives constitue l’essence de la protection des animaux. » Hanno Würbel Un exemple issu des recherches de Lorenz Gygax montre néanmoins les limites de notre compréhension des émotions animales. Il a examiné la position et les mouvements des oreilles pour mesurer le degré d’attention des moutons. « Ceux que nous avons étudiés tournaient leurs oreilles vers l’avant et les agitaient vivement quand nous les confrontions à un stimulus négatif », dit-il. Mais des chercheurs français ont au contraire constaté dans d’autres races que les oreilles tournées vers l’arrière constituaient un signe de stress. Les stimuli négatifs utilisés pour ces expériences ont |