0 LE COIN DES 01 z a LA CHARRUE -CANON PAR J.-R. CLERGEAU Parmi les inventions bizarres — nombre d'entre elles dépassant les sommets de l'impensable — que Lewis Winnant présente dans son "Firearms Curiosa", il en est une, particulièrement délirante, que nous revoyons toujours avec plaisir, vu sa propriété de déclencher chaque fois l'inappréciable réflexe de la saine rigolade. II s'agit de la "Charrue-canon" que firent breveter aux Etats-Unis MM.C.-M. French et W.-H. Fancher. Suivant le texte du brevet, dont Winnant rapporte une partie, cet engin bizarre était : "un moyen de défense destiné à repousser les surprises et attaques de brigands, pour ceux se livrant aux paisibles travaux des champs. Il suffisait simplement de dételer l'appareil pour pouvoir être prêt à faire feu, le soc assurant fermement la pièce sur le sol". Le dessin accompagnant ce commentaire représente en effet une charrue du type "araire" habituel, dont le timon creux constitue un canon de petit calibre, à chargement par la bouche. De par la position on ne peut plus classique du soc, disposé avant tout, pour le labour, celui-ci ne fournissait certainement pas le solide ancrage annoncé, le recul ayant tendance à le dégager au contraire du sol... Mais enfin, vu le petit calibre du canon, il n'y avait pas de raison pour que cela ne soit pas suffisant, et si la pièce basculait en arrière au départ du coup, il était facile de la remettre en batterie. Aucun autre commentaire n'étant fait, et n'en ayant jamais entendu parler ailleurs, nous avions classé cette chose parmi les innombrables et éphémères inventions ayant vu le jour aux Etats-Unis au cours de la guerre de Sécession, féconde en idées fantaisistes. À L'EXPOSITION DE VIENNE Un de nos amis conservateur d'un des plus intéressants musées du Sud-Ouest vient d'éclairer notre lanterne au sujet de cet engin bizarre. Le canon charrue tient donc de sortir des limbes où nous le pensions bien relégué depuis sa prise de brevet, que nous supposions avoir été son unique manifestation. En effet, un passage de la "Publication de la Réunion des Officiers" de l'année 1874 nous montre cet engin, cette fois-ci en Europe, présenté à l'exposition de Vienne en 1873, c'est-à-dire onze ans après son invention, ce qui dénote une certaine obstination de la part de ses inventeurs. Il y représentait, concurremment avec un modèle en bois de grosse pièce d'artillerie (1), la par- (I) Assez bizarre d'ailleurs, car tirant deux coups de suite au moyen d'un bloc coulissant percé de 26 deux chambres. Famille de pionniers americains emigrant (11,st en Ouest. et utilisant pour le delrichage de la prairie une charrue du type "araire-. Malheureusement, n'avant pas entendu parler de la charrue-canon, ils eurent peut-enr des dentelés arec leurs sauvages de voisins. Remarque : la maison construite n l'aide de la terre de la prairie. Les briques sont finies de houe séchée et la couvertre. de plaques d'herbes. (Photo U.S.I,S.) ticipation des Etats-Unis à la Section militaire de cette exposition... ce qui ne devait quand même pas faire sérieux. Les explications jointes nous apprennent que ce "canon camouflé" n'était pas destiné à être semé au hasard sur différents points de ce qui pourrait devenir un champ de bataille, comme nous l'avions cru jusque-là. Cette idée était fort plausible pour un inventeur américain de cette époque féconde. Il n'était pas non plus destiné à soutenir des revendications agricoles. Mais simplement c'était un engin de défense l'usage des "Farmers" de l'Ouest dans leurs relations de bon voisinage avec les In-'..'r.5:6-aa Fty Dessin accompagnant le brevet de French et Fancher, déposé le 17 juin 1862 sous le no 35 600, a Waterloo, Etat de New-York. diens. Du moins, c'est ainsi que la chose est présentée dans les lignes suivantes : "Dans les dernières incursions des Indiens, ceux des Américains qui avaient leurs huttes trop près des Peaux Rouges eurent beaucoup à souffrir. Deux Yankees ont donc cherché à remédier à cet inconvénient, en mettant entre les mains des pionniers les moyens de pouvoir se défendre contre de telles attaques. Ils combinèrent un outil qui est à la fois charrue et canon ; le timon de la charrue constitue le cylindre du canon et peut être démonté ; il est pourvu d'une fermeture qui permet de maintenir le canon constamment chargé, de fermer et d'ouvrir l'embouchure au moment du danger, comme une boite pourvue de son couvercle. "La charge n'est pas trop forte, mais suffisante pour lancer à une distance de 200 à 300 pas, de 20 à 30 balles de fusil, voir des pierres d'un certain volume. "Cet engin, si original qu'il puisse paraître, est digne d'attention quand on sait quelle peur les sauvages ont du canon." Et voilà sans doute pourquoi Custer ramassa sa déculottée de Little Big Horn... il aurait dû prendre exemple sur Cincinnatus, qui, s'il eut vécu alors aux U.S.A., aurait certainement labouré son champ à la "charrue-canon", ce qui ne l'aurait pas laissé dépourvu. De là à conclure que l'engin eut une incidence sur l'extermination des Indiens est autre chose... car en fait, nous n'en avons jamais entendu parler par ailleurs... Peutêtre un jour, à la suite de cet article, verons-nous réapparaître cette "charrue-canon" dans un western... elle est suffisamment spectaculaire pour éclipser l'arme de Joss Randall. Mais pour être réduit à la présenter en Europe, où elle aurait fait avaler son marteau au "Forgeron de la Paix", et où réellement on se demande quel marché aurait pu s'ouvrir pour elle, il fallait que ses inventeurs n'aient réellement pas trouvé de débouché dans leur pays d'origine. |