TENDANCES 118 Fragonard magazine De la même façon, sans éthylvanilline, pas de Shalimar de Guerlain, sans aldéhydes, pas de N o 5 de Chanel… On pourrait ainsi égrener longtemps les merveilleuses molécules qui se cachent derrière nombre de succès mondiaux. Et c’est toute l’ironie de la chose, l’une des grandes qualités des process chimiques est de reproduire le naturel… à la perfection. « Faites sentir une rose reconstituée de façon synthétique et une huile essentielle de rose, tout le monde vous dira que la note naturelle est la première et la préférée », raconte Jean Guichard, parfumeur auteur de Soleil chez Fragonard et ancien directeur de l’école de parfumerie Givaudan. « Ceci s’explique par le rendu olfactif de l’huile essentielle, qui présente un aspect artichaut peu plaisant et qui ne peut restituer toute la pureté d’un pétale senti au petit matin. Ses facettes fraîches très volatiles sont perdues lors de la distillation qui chauffe la matière. Inversement, lorsque l’on recrée une rose en laboratoire, on en assemble tous les composants olfactifs, d’où cette vraisemblance. » UNE NATURE TROP SOUVENT « MUETTE » Et encore, la rose livre une odeur lors de l’extraction, ce qui n’est pas le cas de nombre de végétaux alors qualifiés de « muets » : le muguet en est l’exemple parfait, interprété par le nez Edmond Roudnitska dans le célèbre Diorissimo de Dior créé en 1956 à l’aide d’artifices. Celui-ci affirmait d’ailleurs : « Si la nature est généreuse, la synthèse l’est infiniment plus, et sa corne d’abondance, ce sont des milliers de produits qu’elle a apportés aux parfumeurs. » Ainsi, les fruits – pomme, cerise noire, mûre, framboise – présents dans la majorité des créations féminines, ne peuvent être obtenus que par réaction chimique. Il en est de même des notes aquatiques et des sensations de fraîcheur abstraites. « Sans molécules, on en serait encore à faire des eaux de Cologne et des parfums oscillant entre notes boisées et aromatiques », estime Olivier Pescheux de chez Givaudan. Une réflexion partagée par sa consœur Céline Ellena : « Lorsque j’ai imaginé Pivoine de Fragonard, la nature ne pouvait m’offrir d’huile C’est toute l’ironie de la chose, l’une des grandes qualités des process chimiques est de reproduire le naturel… à la perfection. essentielle, car la fleur est splendide mais totalement muette ! J’ai donc employé de l’Hélional, du Florol et de l’alcool phényléthylique pour mimer ces odeurs d’eau, de vent, et de pétales de pivoine. J’y ai ajouté des huiles essentielles de géranium et d’ylang-ylang pour aboutir à un effet final délicat, transparent. Je n’aurais pu réaliser un parfum aussi proche de ce que l’on sent dans un jardin sans réunir ces deux origines. » Daniela Andrier, parfumeuse chez Givaudan et auteur du best-seller Fleur d’oranger de Fragonard, emploie l’image d’un coton stretch pour illustrer l’apport de la chimie. « C’est un coton auquel de l’élasthanne donne de la technicité et du confort, autorisant des coupes et une texture qui épousent le corps. Ce serait impossible avec un 100% coton brut. C’est un fil conducteur, une trame sur laquelle il vient s’accrocher. L’ingrédient naturel a différentes facettes qui donnent de la vie et ondulent différemment d’une peau à l’autre. Le synthétique est plus monolithique mais offre une évaporation stable. En cela, il est intéressant de les associer. » Des notions techniques qui ne parlent probablement pas au consommateur, et pourtant celui-ci serait désemparé de ne pas retrouver un parfum constant au fil de ses achats. Or une essence embaume forcément différemment d’une saison et d’un terroir à l’autre, exactement comme le vin. Autre bémol de la nature, son champ des possibles n’est pas infini. Il est devenu rare que les fournisseurs proposent une espèce botanique à l’odeur encore jamais sentie puisque la majorité des végétaux de la planète ont déjà été « disséqués » pour en étudier les effluves potentiels. Alors, depuis quelques années, les nouveautés enregistrées comme naturelles sont plutôt issues de deux nouvelles sources : d’un côté, de nouvelles techniques d’extraction (avec des distillations plus sophistiquées, des extractions par gaz plus fidèles car elles ne chauffent pas la matière) ; de l’autre, la biotechnologie, effectuant des réactions enzymatiques ou de biocatalyse sur une fleur, un bois… pour arriver à une nouvelle senteur. C’est un peu le principe de |