6 International 1 – 15 MARS 2013 Une zone de libre-échange transatlantique pour 2015 VALENTIN SCHMID Le président Obama a ouvert le bal lors de son discours d’investiture pour son deuxième et dernier mandat sur l’état de l’Union. Il a proposé d’entamer des négociations sur la création d’une zone de libre-échange transatlantique. Les dirigeants européens ont accepté favorablement l’idée, car elle permettrait de stimuler les deux économies. Dans un communiqué le lendemain, José Barroso, président de la Commission européenne déclarait : « Je suis heureux de vous annoncer aujourd’hui que l’Union européenne et les États-Unis ont décidé d’entamer des procédures de négociations pour trouver un accord révolutionnaire de libreéchange ». Les fonctionnaires américains et européens espèrent que « le partenariat pour le commerce et l’investissement transatlantique » augmentera la croissance et les emplois des deux continents. « Ce soir, je vous informe que nous allons lancer des négociations sur un accord global de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement avec l’Union européenne parce qu’un commerce transatlantique qui repose sur un libre échange équitable, crée des millions d’emplois américains bien rémunérés », s’enthousiasmait le président Obama dans son discours le 12 février. Le président Barack Obama (c), son vice-président Joe Biden (g) et John Boehner (d), président de la Chambre des Représentants des États-Unis et du 8 e district de l’Ohio, lors du discours sur l’État de l’Union, prononcé à Washington, le 12 février. Obama a proposé d’entamer des négociations sur la création d’une zone de libre-échange transatlantique. Un libre-échange « gagnantgagnant » Le libre-échange, sans restriction de droits de douane, ni de quotas, ni de subventions est généralement perçu comme générateur de richesse. Croissance et créations d’emplois sont alors possibles sans exclusion. Une zone de libre-échange permet aussi sur le long terme de réduire les tensions géopolitiques et de favoriser les échanges culturels. L’Association nord-américaine de libre-échange (ALENA) et l’Union européenne (à l’origine une zone de libreéchange total créée après la Seconde guerre mondiale) en sont la preuve. Malgré l’urgence affichée des deux côtés de l’Atlantique, les négociations seront toutefois difficiles. L’agriculture est l’un des points d’achoppement. Pour les produits agricoles, le marché européen est très réglementé et subventionné. Compte tenu des intérêts bien établis et de la lenteur du processus politique, cet obstacle sera difficile à résoudre. En outre, les agriculteurs américains aussi bénéficient de subventions au niveau étatique et fédéral. Il faudra plusieurs années pour que les deux secteurs s’adaptent à un environnement de complète libre concurrence. Comme le secteur agricole ne représente qu’une fraction de l’économie et que les négociations sont complexes, Fred Irwin, président de la Chambre de commerce américaine en Allemagne suggérait d’exclure ce secteur. « Le secteur agricole n’existera que lors des pourparlers », a-t-il déclaré au journal allemand Die Zeit. La réglementation et les obstacles de fond Cependant, d’autres secteurs pourraient grandement profiter des réductions de coûts. Actuellement, les entreprises américaines et européennes sont régies par deux ensembles de règles différentes. Selon M. Barroso, le développement d’une règlementation unique leur permettrait de faire des économies substantielles. « Ces négociations vont mettre en place une norme, non seulement pour nos futures échanges et investissements bilatéraux (dont les questions de réglementation), mais aussi pour l’élaboration de règles commerciales mondiales », affirme M. Barroso. Il estime que le PIB de l’Union européenne pourrait croitre de 0,5% par an. Ron Kirk, le représentant américain du Commerce abonde dans le même sens : « Comparés aux standards mondiaux, nos tarifs douaniers et autres barrières aux importations traditionnelles sont assez faibles. Cependant, il existe d’importantes restrictions dans des secteurs notoires qui entravent toujours les échanges. Nous convenons avec l’UE que, ce que nous nommons "au delà de la frontière" ou des barrières non tarifaires, nous privent d’une part substantielle du commerce de biens et de services », explique-t-il au Trade News. La Commission européenne doit obtenir au préalable la permission de négocier au nom de ses pays membres. Les discussions concrètes commenceront durant l’été 2013. Karel de Gucht, commissaire européen au commerce, espère que les négociations seront achevées d’ici à 2015. 232 journalistes emprisonnés dans le monde Charles Dharapak/AFP/Getty Images JACK PHILLIPS Dans son rapport annuel sur la liberté de la presse, un observateur des médias de premier plan a annoncé un nombre « record » de journalistes emprisonnés dans le monde en 2012. À la date du 1 er décembre dernier, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) estimait à 232 le nombre de journalistes emprisonnés. 53 journalistes de plus qu’en 2011. L’organisation installée à New York déclarait le 13 février dernier que l’une des raisons de cette augmentation des emprisonnements réside dans « la banalisation des accusations de terrorisme et d’autres infractions de la part de certains États, pour frapper les éditeurs et les journalistes d’investigation ». La Chine, l’Iran et la Turquie sont des geôliers d’envergure pour les journalistes. Les actions de ces pays ont fortement contribué à l’explosion des statistiques globales. Les chiffres de l’an dernier ont brisé le record précédent de 185 journalistes détenus en 1996. Selon le CPJ, « ces trois pays, les pires geôliers du monde de la presse, font un usage frénétique de vagues lois contre la stabilité de l’État pour museler les opinions politiques divergentes, surtout celles exprimées par les minorités ethniques ». Le groupe explique que « les allégations de terrorisme, de trahison, de subversion étaient les accusations les plus répandues contre les journalistes taxés d’atteintes à la stabilité de l’État ». Plus de 132 journalistes ont été détenus dans le monde sur la Jiji Press/AFP/Getty Images Sur cette photo de 1998, publiée le 21 août 2012 par la famille Yamamoto, apparaît la journaliste Mika Yamamoto (G) et son père Koji Yamamoto (D). Mika Yamamoto a été tuée par balle en 2012 lors du conflit syrien, dans la ville d’Alep. Le communiqué a été publié par le ministère des Affaires étrangères du Japon le 21 août. base de ces accusations. La Syrie, ravagée par la guerre civile, et l’Érythrée en Afrique de l’est, ont emprisonné chacun un grand nombre de journalistes, annonce le CPJ. Dans ces deux pays, de nombreux journalistes sont enfermés dans des lieux secrets sans aucune accusation formelle portée publiquement contre eux. Pour le rapport, l’Érythrée est « le pire transgresseur des procédures régulières ». Les cinq pays suivants à avoir emprisonné le plus de journalistes l’année dernière sont le Vietnam, l’Azerbaïdjan, l’Ethiopie, l’Ouzbékistan et l’Arabie saoudite. Le mois dernier, la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) rapportait que 121 journalistes avaient été tués dans le monde en 2012, marquant l’une des années les plus sanglantes pour les professionnels des médias. Le conflit en Syrie mène la danse macabre du pic de journalistes tués. Pour la FIJ, la hausse du nombre de décès est le résultat de l’inaction des gouvernements du monde et des Nations unies, car les puissances mondiales se contentent de platitudes plutôt que de mesures concrètes pour réduire le nombre de journalistes tués en service. Jim Boumelha, le directeur de la FIJ, s’en attristait le mois dernier: « C’est presque normal que la courbe exorbitante de journalistes tués soit devenue un trait constant ces dix dernières années. La réaction typique des gouvernements et des Nations unies a été quelques mots de condamnation, une enquête rapide et un haussement de sourcils d’indifférence ». TURQUIE Deux classiques littéraires menacés de censure deviennent des bestsellers EMEL AKAN ISTANBUL – Suite à des rumeurs selon lesquelles deux classiques littéraires pourraient être censurés en Turquie, ceux-ci ont été élevés au statut de bestseller en l’espace d’une semaine. Des Souris et des hommes de Steinbeck, ainsi que l’ouvrage pour enfants Mon bel oranger, auraient été recommandés aux autorités pour être censurés dans les écoles turques car ils contiennent des passages jugés « immoraux ». Bien que le ministère de l’Éducation ait nié ces rumeurs, les ventes ont explosé. « Il est vrai que certaines réactions récentes ont boosté les ventes. Cela n’est pas souhaitable, toutefois. C’est dommage que le livre cause de telles rumeurs », a dit Irfan Sanci, chef de Sel Publishing House, éditeur du roman classique Des Souris et des hommes. L’éditeur de Mon bel oranger, Can Publications, a aussi confirmé des ventes en forte hausse. Un représentant a expliqué : « La hausse est due à la réaction aux rumeurs ainsi qu’à la curiosité. Il y a eu beaucoup de soutien de la part des lecteurs. Certains ont acheté le livre une deuxième fois. » Le directeur de la librairie de Kabalci à Besiktas, une des librairies les plus fréquentées d’Istanbul, a minimisé l’incident. « Nous avons vu se manifester plus d’intérêt et de ventes en réaction aux rumeurs de ces dernières semaines, mais cela n’est pas énorme. C’était une exagération médiatique. Certaines personnes ont acheté les livres par peur de la censure. » Les deux livres ont eu du succès dans les écoles et font partie des cent ouvrages recommandés par le ministère de l’Éducation. Idefix, la librairie en ligne la plus populaire de Turquie, a inclus les deux livres sur sa liste des bestsellers. Lorsque les deux livres ont grimpé sur la liste, Elif Safak auteur turque réputé, a affirmé dans un tweet : « Les livres sont résistants, plus ils sont interdits ou en passe d’être censurés, plus les gens les lisent. » Bien que la censure soit une pratique courante en Turquie, le gouvernement a récemment levé une interdiction sur 453 livres, dont des ouvrages des années 60-70. Le conseil d’administration de la commission d’évaluation de livres d’Izmir a envoyé un rapport appelant le ministère de l’Éducation à interdire certaines parties du classique de John Steinbeck, d’après un article par le quotidien Daily Birgun paru le 3 janvier dernier. La commission a indiqué dans son rapport que les pages 63 et 64 étaient immorales. Pendant ce temps à Istanbul, un parent a envoyé une lettre au bureau de communication du Premier ministre pour se plaindre de Mon bel oranger par l’auteur brésilien José Mauro de Vasconcelos. D’après le quotidien Hurriyet Daily, le passage ayant offensé le parent était lorsque Zeze, âgé de cinq ans, est surpris par hasard par son professeur récitant une chanson flattant l’ardent désir d’une femme nue sous la lumière de la lune. Le syndicat des professeurs d’école de Turquie était outragé, déclarant dans un communiqué de presse : « Comment peuventils oser lancer une enquête sur un professeur pour avoir assigné Mon bel oranger comme lecture. Ces pratiques de censure et de prohibition dans tous les domaines de la vie sociale, dont l’éducation, nous rappellent beaucoup le Sultan Ottoman Abdülhamid II et son "ère autocratique". En réponse, nous appelons tous les professeurs, étudiants et parents à acheter et lire ces deux livres et protester contre la mentalité prohibitionniste. » Toutefois le ministre de l’Éducation, Omer Dincer, a affirmé qu’il n’y a eu aucune censure et a nié avoir lancé une quelconque enquête sur le professeur. D’après lui, les rumeurs ont été lancées pour dénigrer le ministère. « Nous devons tenir compte des plaintes des citoyens. Après avoir examiné ces plaintes, nous avons décidé de ne pas engager d’action. Ces deux livres sont sur notre liste de romans recommandés », a précisé le ministre à l’agence de presse Anadolu. En ce qui concerne le rapport sur Des Souris et des hommes, le directeur de l’éducation de la province d’Izmi Vefa Bardakci a déclaré à Anadolu : « Nous avons demandé à notre ministère de réexaminer l’ouvrage. Il n’y a pas eu de prohibition ni de censure. Ce fait a été exagéré. Notre entité n’a pas d’autorité pour interdire des livres. » « Il semble que l’affaire est close », conclut Irfan Sanci de Sel Publishing. « Le ministre a peutêtre fait marche arrière au vu des réactions du public. » Bulent Kilic/AFP/Getty Images Une femme feuillette un livre de Chuck Palahniuk dans une librairie d’Istanbul en 2011. |