6 International 16 – 28 FÉVRIER 2013 Le journalisme d’investigation très efficace mais sous-financé Suite de la première page Drew Sullivan est un journaliste expérimenté et un spécialiste du développement des médias, ayant mis sur pied et dirigé le Center for Investigative Reporting (CIN) en Bosnie-Herzégovine, une organisation médiatique régionale indépendante. David Kaplan, un autre journaliste d’investigation expérimenté ayant également participé au forum, décrit le journalisme d’investigation comme étant « méthodique et en profondeur », utilisant normalement des « sources de première main », de la « recherche originale » et une « vérification rigoureuse des faits ». Il implique souvent la révélation de secrets et l’utilisation poussée des données. Il y a aussi une « longue tradition de se concentrer sur la justice sociale et la transparence », affirme-t-il. M. Kaplan est actuellement le directeur du Global Investigative Journalism Network (GIJN), une association de plus de 70 organisations dans 35 pays qui soutiennent le journalisme d’investigation. Les ONG augmentent leur soutien Les organisations de journalisme d’investigation à but non lucratif ont joué un rôle crucial dans le développement de ce type de journalisme partout dans le monde. En 2007, le GIJN a identifié 39 de ces organisations – des centres médiatiques, des instituts de formation, des associations professionnelles, des groupes offrant des subventions et des réseaux en ligne – dans 26 pays. En 2012, le nombre est passé à 106 dans 47 pays. Dans les années 1970, il y avait peut-être trois associations loi 1901 de ce genre. La première, le Fund for Investigative Journalism, a vu le jour en 1969. Elle finançait les journalistes locaux. Son premier bénéficiaire a été Seymour Hersh, qui a enquêté sur le massacre de My Lai au Vietnam et qui a remporté un prix Pulitzer pour son reportage. AFP PHOTO/KENZO TRIBOUILLARD Le journalisme d’investigation demande des normes très élevées en matière d’exactitude. Il ne reçoit que 2% des fonds destinés au développement des médias autour du globe. Ceux qui préfèrent le silence Selon Drew Sullivan, les associations loi 1901 qui tentent de faciliter le journalisme d’investigation au niveau local doivent faire face aux propriétaires de journaux qui ont leurs propres intérêts politiques. « Un nombre élevé de publications dans le monde ont des liens directs avec des organisations politiques ou criminelles, alors il y a peu de motivation [à aborder certains sujets]. » David Kaplan a écrit dans le rapport Empowering Independent Media que des enquêtes ont permis de découvrir que « la moitié des propriétaires de médias à Bucarest ont fait l’objet d’une enquête pour racket ou blanchiment d’argent ». Drew Sullivan lui a indiqué dans une entrevue que son centre en Bosnie avait documenté quelque chose de similaire. « Il est peu probable que de tels propriétaires soient disposés à commanditer des formations sur la manière d’enquêter sur le crime et la corruption ou de permettre à leurs rédacteurs de publier des articles percutants sur les abus de pouvoir au niveau local », écrit David Kaplan. Les journalistes d’investigation doivent également faire attention à leur sécurité et composer avec des questions légales. « Nous avons des journalistes qui ont été menacés [et suivis]. Parfois, nous avons dû faire sortir un journaliste d’un pays très rapidement », explique Drew Sullivan. Les organisations œuvrant dans le développement des médias doivent « comprendre le risque légal de publier quelque chose sur Internet et d’assumer la responsabilité légale envers 220 pays à travers le monde », mentionne M. Sullivan. Sheila Coronel, directrice du Stabile Center for Investigative Journalism à l’université Columbia, a cofondé le Philippine Center for Investigative Journalism (PCIJ) en 1989 avec quelques centaines de dollars et une machine à écrire, selon David Kaplan. Sous la direction de madame Coronel, le PCIJ est devenu « la norme à atteindre pour le journalisme d’investigation en Asie », écrit David Kaplan. Le PCIJ est surtout connu pour sa série de reportages sur la fortune cachée du président Joseph Estrada, qui a été écarté du pouvoir en raison de ses détournements de fonds. « Les instructeurs [du PCIJ] ont pratiquement, à eux seuls, formé une génération de journalistes d’investigation aux Philippines et ont diffusé leur savoir-faire à travers l’Asie », écrit David Kaplan. Madame Coronel a tenté d’expliquer, lors du forum, certaines des raisons expliquant les succès du PCIJ. « Pendant plus d’un an, nous n’avions pas de financement, mais nous avions du contenu et nous devions démontrer que ce contenu était efficace. » Elle a dit à David Kaplan que le journalisme devait atteindre des normes très élevées en matière d’exactitude. « Les articles passaient à travers plusieurs niveaux de révision. Nous avons attendu des mois juste pour obtenir l’autre version des faits, dont celle d’Estrada. » David Kaplan a cité une étude réalisée par Transparency International en 2011 pour démontrer le degré de confiance mondiale envers le journalisme d’investigation pour lutter contre la corruption. Dans 30 différents pays, 3.000 hommes d’affaires ont été sondés. Près de la moitié (49%) ont affirmé qu’il était efficace pour lutter contre la corruption dans le domaine privé. Pratiquement tous les pays ont exprimé une plus grande confiance envers le journalisme d’investigation qu’envers les lois anticorruption. Fonds de développement des médias Le journalisme d’investigation ne constitue qu’une seule forme de développement des médias. En général, le développement des médias cherche davantage à renforcer les médias dans certains pays en les aidant à devenir plus indépendants et professionnels. À l’échelle mondiale, près d’un demi-milliard de dollars (363 millions d’euros) ont été dépensés en aide internationale aux médias en 2010, dont 84% proviennent d’agences gouvernementales aux États-Unis et de l’Union européenne. Environ 9 millions d’euros, soit 2% du total, sont allés au développement du journalisme d’investigation, selon David Kaplan. Toutefois, indique Drew Sullivan, « les donateurs s’intéressent probablement plus que jamais au journalisme d’investigation. » Ils recherchent le meilleur retour sur leurs investissements et « le journalisme d’investigation est souvent le genre de journalisme qui peut générer des changements dans une culture ». Le New York Times victime de pirates informatiques chinois JACK PHILLIPS Le New York Times a révélé cette semaine que des pirates informatiques chinois avaient lancé des attaques contre ses réseaux au cours des quatre derniers mois, subtilisant les données et les mots de passe de journalistes et d'employés qui travaillent pour le quotidien. Le New York Times a indiqué qu'après avoir « traqué furtivement » les pirates pendant un certain temps, les experts en sécurité du quotidien ont établi une meilleure protection et ont finalement expulsé les pirates des réseaux. Le quotidien affirme que les comptes de ses abonnés n'ont pas été compromis, citant ses propres experts. Depuis des années, les pirates informatiques basés en Chine lancent des attaques contre des entreprises, des organisations et des agences gouvernementales. L'attaque contre le New York Times pourrait indiquer une nouvelle tendance où les pirates s'en prennent également aux médias occidentaux. Le jour suivant l'annonce du New York Times, le Wall Street Journal a annoncé être également victime de pirates chinois qui cherchent à surveiller comment le quotidien traite l’information sur la Chine. Avant de réussir à s'infiltrer dans les réseaux du New York Times, les pirates ont tenté de camoufler leurs actions en faisant passer leurs attaques par des universités américaines, selon Mandiant, une société engagée par le quotidien pour se pencher sur l'infraction. Mandiant, qui a souligné que des pirates chinois avaient utilisé cette tactique auparavant pour pénétrer dans les systèmes d'autres sociétés américaines, a indiqué que les ordinateurs des mêmes universités ont été utilisés dans le passé par l'armée chinoise pour pénétrer les réseaux de fournisseurs de l'armée américaine. Après avoir pénétré les réseaux du New York Times, les pirates ont installé des logiciels malveillants pour avoir accès à tous les ordinateurs du réseau. Ils ont ensuite volé les mots de passe corporatifs de tous les employés, puis ont utilisé cette information pour entrer dans les ordinateurs personnels de 53 employés. Les experts ont fait remarquer que ces logiciels malveillants avaient été utilisés par des pirates chinois dans le passé. Toutefois, on n'a pas encore trouvé comment les pirates informatiques ont initialement pénétré les réseaux du New York Times, affirme le quotidien. Des experts estiment qu'ils ont probablement utilisé une technique d'hameçonnage qui envoie des courriels aux employés avec des hyperliens ou des pièces jointes qui installent un outil permettant d'accéder à distance aux Le siège social du New York Times. ordinateurs. Le New York Times affirme que l'attaque a coïncidé avec la publication par le quotidien de reportages sur le patrimoine familial du Premier ministre chinois, Wen Jiabao, en octobre dernier. Toutefois, la rédactrice en chef du quotidien, Jill Abramson, a affirmé que « les experts en sécurité informatique n'ont trouvé aucune preuve que des courriels ou des fichiers sensibles reliés aux reportages sur la famille Wen n'ont été ouverts, téléchargés ou copiés ». Le quotidien a indiqué que les comptes courriel de David Barboza, le chef de bureau du New York Times à Shanghai et l'auteur des reportages sur Wen, ainsi que celui de Jim Yardley, le chef de bureau en Asie du Sud, ont été piratés. Le New York Times, qui utilise l'antivirus Symantec, affirme que le logiciel n'a trouvé qu'un cas de Timothy A. Clary/AFP/GettyImages maliciel installé par les pirates. En fait, ils ont installé plus de 45 « maliciels conçus sur mesure » dans les ordinateurs de la compagnie. Bloomberg News a également été victime d'une cyberattaque l'année dernière lorsque l'agence a publié un reportage sur la fortune accumulée par les proches de l'actuel dirigeant chinois, Xi Jinping. À l'époque, Xi attendait toujours son tour pour prendre les commandes du Parti communiste chinois. Graham Culey, qui rédige sur le blog Naked Security de la firme de sécurité Sophos, a écrit qu'il n'est pas encore clair que des agents du gouvernement chinois soient derrière les attaques, mais que c'est très probable. « Ne soyons pas trop naïfs », écrit-il. « Il est très probable que la conclusion du New York Times soit exacte et que cette attaque ait été autorisée par les autorités à de Pékin. » Quand le New York Times a publié ses reportages sur Wen Jiabao, les censeurs chinois ont bloqué le nom chinois du quotidien sur plusieurs sites de microblogs. Ils ont également censuré le site en chinois du quotidien, a rapporté le New York Times en octobre. « Ce n'est pas la fin de cette affaire », a indiqué au New York Times Richard Bejtlich, le chef de la sécurité chez Mandiant. « Lorsqu'ils prennent goût à une victime, ils ont tendance à récidiver. Ce n'est pas comme un cas de crime informatique où les intrus volent des trucs et ne reviennent plus. Cette instance nécessite un modèle de vigilance interne. » Le site Internet en chinois d'Epoch Times a également été victime de nombreuses attaques en août dernier lorsqu'il a traité en détail le scandale impliquant le responsable communiste déchu Bo Xilai. |