12 V 1– 1– 15 FE VR IER 201 013 Le lac Titicaca est considéré comme le plus haut lac navigable du monde, à près de 3.812 m au-dessus du niveau de la mer. Rencontre avec les fils du Soleil sur le lac Titicaca CHRISTIANE GOOR CHARLES MAHAUX 2 e partie Rencontre avec les fils du Soleil Chaque jour, une embarcation relie la petite ville de Puno à l’île de Taquile. Il faut partir à l’aube pour voir s’éveiller le lac Titicaca. Le ciel très pur s’égaie de couleurs délicates au lever du soleil : rose thé prolongeant insensiblement le vert émeraude des eaux du lac. Les îles se détachent au loin, telles des ombres chinoises, doublées de leur reflet sur le lac qui s’étire, lisse comme une soie tendue. Quelques balsas de totoras glissent à l’horizon. Au terme de trois heures de navigation sous un ciel résolument bleu, on accoste dans un des petits ports de l’île de Taquile. Ici, pas de taxi, pas de voitures, pas même de motos. C’est à pied, le long des chemins empierrés, que le visiteur aborde cette terre lointaine et se laisse envahir par une ambiance surannée inattendue. Cet îlot d’à peine 11 km² ressemble à un promontoire rocheux qui s’élève jusqu’à 240 mètres audessus du niveau des eaux du lac. Le sentier qui mène de la jetée au cœur du village épuise très vite le visiteur pressé de découvrir le site et peu accoutumé à une telle raréfaction de l’oxygène. Il faut prendre le temps de la promenade, s’arrêter en chemin pour contempler le paysage rocailleux et se laisser surprendre par la magie du lieu. Et puis, c’est la délivrance : la porte d’entrée du village qui se découpe dans le bleu du ciel, une arche de pierre surmontée de statuettes, qui semble posée sur le chemin, comme une invitation. Choisir de rester deux jours à Taquile, c’est accepter de se plier au rythme immuable que commandent les travaux des champs. La principale activité de l’île, c’est l’agriculture, relativement riche malgré le climat froid et sec. En effet, le lac dont les eaux se réchauffent et se refroidissent plus lentement que sur les terres qui l’entourent, se révèle un précieux régulateur thermique qui autorise la culture d’espèces végétales inattendues à cette altitude. Ainsi en est-il du maïs, des pommes de terre, des « habas » ou sorte de fèves et de la quinoa, ce riz des hauts-plateaux andins. Pour augmenter la surface de terres cultivables, les Taquileños ont depuis longtemps apprivoisé leurs terres en y construisant des terrasses qui, en diminuant la déclivité naturelle du terrain, limite les dégâts causés par les pluies. Chacun travaille à Taquile, hommes, femmes et enfants. C’est un labeur harassant car ils n’ont ni les moyens mécanisés pour réaliser les travaux des champs, ni les animaux de trait pour porter de lourdes charges. Les petites maisons sont disséminées sur tout le territoire de l’île mais c’est sur la place centrale du village que s’organise la vie sociale. Le soir on peut y manger la spécialité de l’île, la truite grillée, dans l’un ou l’autre petit estaminet installé sous la treille. C’est là que se réunissent les hommes et les femmes quand ils s’offrent un moment de liberté propice au tricot ou au filage de la laine. Les heures s’égrènent sans y paraître, à l’écoute d’une civilisation millénaire. La sauvegarde des traditions Comment expliquer que cette île qui fut réduite à l’esclavage lors de la conquête espagnole, ait pu sauvegarder au fil des siècles les traditions de sa propre culture ? Quand en 1533, Charles Quint prit possession des territoires des hauts plateaux andins, il vendit aussitôt l’île aux enchères, pratique courante à l’époque pour alimenter le trésor en monnaies sonnantes et trébuchantes. Elle fut acquise par le marquis PedroGonzalez de Taquila dont la mémoire est sauvegardée par le nom qu’il laissa à l’île, transformé en Taquile par la prononciation locale. Le décès du marquis qui ne laissait aucun héritier, permit aux insulaires de retrouver discrètement leurs terres. Abandonnés à leur sort, ils renouent avec les traditions jusqu’à ce qu’en 1644, l’île soit, une fois de plus, vendue aux enchères. Morcelée, elle passera de l’un à l’autre, sans que jamais ses différents acquéreurs ne s’intéressent réellement à son sort. Soit par passivité, soit par désintérêt, soit même par peur, ils se risqueront très rarement à se rendre sur leurs propriétés dont l’accès s’avérait aussi difficile. Ce Tout en bavardant, les jeunes garçons s’adonnent au tricot de bonnets de laine rituels. Mahaux Photography Le village de Taquile se situe à près de 4.000 m d’altitude. Depuis le port, un escalier en pierres y mène lentement. Mahaux Photography presque abandon permit une fois de plus la conservation des traditions, loin des regards critiques des citadins. La situation géographique de l’île décidera un jour l’État péruvien, devenu indépendant, à la transformer en lieu de réclusion pour prisonniers politiques. C’est curieusement dans la coexistence avec les exclus politiques que Taquile va puiser l’énergie et la ténacité qui lui permettront de recouvrer un jour ses titres de propriété. En effet, l’isolement dans lequel était maintenue cette île facilitait la solidarité avec les prisonniers qui partageaient avec les insulaires les affres de la marginalisation. Dans les années 20, un natif de l’île se lia d’amitié avec une certain Sanchez Cerro qui recouvrit un jour la liberté et fut même élu président de la République. Sanchez Cerro n’oublia jamais ses compagnons d’infortune et il les soutiendra, les encouragera à entamer les procédures nécessaires pour recouvrer leurs terres. Cette lutte légale fut longue et difficile mais elle aboutit en 1942 à la délivrance devant notaire du premier titre légal de propriété accordé aux insulaires. Une dernière curiosité de l’île, qui trouve son origine dans les coutumes incas, c’est que ce sont les hommes qui tricotent le chullo, un bonnet pointu illustré de différents symboles magiques, qui permet de distinguer l’homme dont le cœur est pris du célibataire. Dès leur plus jeune âge, les garçons sont entraînés à cette technique du tricot car la coutume veut qu’un homme ne peut pas se marier s’il n’est pas capable de réaliser lui-même son chullo. S’il est entièrement rouge, c’est que son propriétaire est marié. Par contre ceux qui arborent un bonnet à pointe blanche laissent entendre que leur cœur est à prendre. Ce code d’amour se complique encore quand on sait qu’il est également lié à la manière de porter le bonnet. Un garçon peu ou pas du tout intéressé par le sexe opposé laisse pendre le coin de son chullo vers l’arrière. Mais s’il rabat le pan de son bonnet, c’est qu’il cherche l’âme sœur… Mahaux Photography Le lac Titicaca pratique Les formalités : seul le passeport en cours de validité est demandé. La monnaie : l’unité monétaire est le nuevo sol. Mais la monnaie référentielle est le dollar américain. Les cartes de crédit les plus connues sont acceptées partout. L’euro se change facilement. Y aller : pour se rendre sur le lac Titicaca, l’avion est le moyen le plus rapide en passant par une ligne intérieure qui relie Lima à Jiuliaca. Il reste à rejoindre Puno, sur les bords du lac, en taxi ou en bus, soit une heure de route. Au départ de Puno, départ quotidien matinal de bateaux-charters vers les îles flottantes et l’île de Taquile. Il faut compter à peu près 20 euros le voyage en bateau AR. Le site de Sillustani à 30 km de Puno peut se joindre en bus ou en taxi. Un contact sur place ? Aventura latinoamericana (www.perou.net), une organisation de voyage belge et donc francophone avec licence au Pérou et sa propre équipe sur place. Une adresse avec un excellent rapport qualité/prix pour traiter en direct un programme de voyage personnalisé. Et pour des séjours solidaires : www.solidaireincatour.com Saison idéale : le climat est aussi diversifié que le relief mais à cette altitude des Andes, les températures moyennes se situent entre 15 et 20 °C toute l’année. Prévoir un bon coupe-vent pour la traversée du lac. La période avril-octobre qui correspond à l’hiver austral est idéale pour éviter la saison des pluies. Se loger : à Puno, le Francis Hotel (www.francispuno.com) offre des chambres confortables au centre de la ville à partir de 60$ la chambre double. Savoir que les nuits sont très froides dans les Andes et que la plupart des hôtels ne sont pas chauffés. À Taquile, l’hébergement sur l’île est organisé par les habitants eux-mêmes qui répartissent les touristes chez les uns ou les autres, par roulement. Il s’agit d’un logement chez l’habitant et le confort est rudimentaire, à l’image de la vie à Taquile. Le prix est dérisoire, quelques euros. Se restaurer : se nourrir ne coûte pas cher au Pérou. Pour 3 euros, il est déjà possible d’avoir un menu complet, boisson comprise. À Puno, il suffit de flâner et de pousser les portes des nombreux restaurants du centre ville, entre autres le long de la La Jirón Lima, une rue piétonne très fréquentée. Ne pas hésiter à manger des pizzas cuites dans des fours en terre. À Taquile, tous les restaurants offrent la spécialité locale, une truite grillée au citron vert. Il reste à choisir la plus jolie terrasse. |