4 International www.lagrandeepoque.com 16 – 31 JANVIER 2011 ● La Grande Époque L’Amérique latine bouscule l’ordre international au Proche-Orient L’émergence serait affaire d’économie. Les observateurs fi nanciers, et les décideurs politiques des grands pays occidentaux, s’attachent à maintenir le débat sur l’émergence dans ce cadre. Jusqu’à admettre l’admission au sein du G-7, des économies montantes d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Argentine, Brésil et Mexique participent donc désormais aux réunions du G-20 cercle choisi et réservé censé canaliser le dialogue entre économies installées et émergentes. La reconnaissance en dominos de l’État palestinien par plusieurs États sud-américains en décembre 2010 est venue après d’autres événements diplomatiques rappeler que l’émergence est aussi une affaire de diplomatie. Le rapport de force présidant à la redistribution du pouvoir mondial est bel et bien global, politique tout autant qu’économique. La Bolivie, le 17 décembre 2010, après le Brésil, l’Argentine et avant l’Uruguay vient en effet d’annoncer qu’elle reconnaissait l'État palestinien. Le président Lula dans une lettre adressée le 3 décembre à son homologue palestinien, Mahmoud Abbas lui a écrit la chose suivante : « Par l’intermédiaire de cette lettre le Brésil reconnaît l’État palestinien dans ses frontières de 1967 (..) La reconnaissance de l’État palestinien répond à la conviction brésilienne que le processus de négociation entre deux États cohabitant pacifi quement et en sécurité est le meilleur chemin pour la paix au Proche Orient ». L’Argentine, le 6 décembre, a elle aussi offi - ciellement indiquée qu’elle reconnaissait la Palestine « comme État libre et indépendant », dans les limites des frontières de 1967. Le Fatah, parti du président de l’Autorité palestinienne a aussitôt commenté, qu’il s’agissait là « de messages forts de soutien au droit du peuple palestinien à la liberté et PUBLICITÉ FRANCE à l’indépendance et de rejet de l’occupation israélienne de la terre palestinienne ». Ces initiatives ne sont pas le résultat de décisions de circonstance. Elles s’insèrent dans un processus inscrit dans la durée. Le Brésil dispose d’une représentation diplomatique à Ramallah depuis 2004. L’Argentine a ouvert la sienne en 2008. La Bolivie avait suspendu ses relations diplomatiques avec Israël en 2008, après l’opération militaire de Gaza. Mahmoud Abbas a visité plusieurs pays d’Amérique du sud en 2009. Le chef d’État brésilien Lula da Silva a effectué une visite offi cielle à Ramallah et à Jérusalem, la première jamais effectuée par un responsable de son pays au Proche Orient, en mars 2010. L’Autorité palestinienne et l’Uruguay ont offi cialisé leurs relations bilatérales en avril 2010. L’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique et le Venezuela, avaient condamné en mai 2010 l’attaque israélienne sur la fl ottille qui avait tenté d’apporter une aide matérielle aux Palestiniens de Gaza. Leurs gouvernements l’avaient exprimée chacun dans son style, mais la condamnation, commune, avait été franche et publique. Celle du Brésil avait été sans doute la plus énergique : « Le gouvernement brésilien a reçu avec consternation (..) l’annonce de l’attaque israélienne à l’un des bateaux de la fl ottille qui apportait une aide humanitaire internationale à la Bande de Gaza. Le Brésil condamne en termes véhéments l’action israélienne, compte tenu du fait qu’elle n’avait aucune justifi cation militaire ». Le gouvernement chilien de Sebastian Piñera avait également « condamné l’usage de la force (..) particulièrement dans ce cas survenu dans les eaux internationales, à l’origine de morts et de blessés (..) dans des navires (..) qui apportaient de l’aide humanitaire ». Le Mexique avait de la même De tous les renseignements improbables et étranges auxquels les services secrets américains ont eu accès et qui ont été diffusés dernièrement par les câbles de Wikileaks, le plus étonnant est sans contexte celui publié le 3 janvier par le journal allemand Der Spiegel. Ce câble diplomatique écrit en février rapporte les détails d’une réunion du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale Iranienne (SNSC). Le Conseil s’était réuni pour discuter de la suite à donner aux manifestations de mécontentement de la population iranienne encore sous le choc de la répression d’État de l’été précédent. Les citoyens du pays étaient descendus en masse dans les rues pour protester contre des élections à l’évidence truquées. Ahmadinejad qui n’est pas réputé pour son ouverture d’esprit, a créé la surprise lors d’une session du conseil qui devait juguler les protestations de l’opposition de la mi-janvier juste après les manifestations d’Ashura, en adoptant une posture plutôt Par Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS libérale. Ahmadinejad aurait déclaré que « la population se sent étouffée » et aurait suggéré pour désamorcer la situation, d’accorder plus de libertés individuelle et sociale, y compris plus de liberté pour la presse. Sa proposition n’a pas obtenu l’adhésion des membres du conseil. Selon un témoin de la scène, la suggestion d’Ahmadinejad aurait provoquée la fureur de MohammedAli Jafari, commandant du Corps des Gardiens de la Révolution. Ce dernier se serait exclamé : « Tu as manière « condamné de façon énergique l’attaque réalisée par les Forces armées d’Israël dans les eaux internationales contre des bateaux au caractère civil qui cherchaient à apporter une aide humanitaire aux habitants de la Bande de Gaza ». Le Venezuela de Hugo Chavez avait sur un mode plus incisif « condamné énergiquement le massacre brutal commis par l’État d’Israël contre les participants d’une fl otte de la Liberté (..) qui tentaient d’apporter une aide humanitaire au peuple palestinien de Gaza, soumis au blocus criminel imposé par l’État d’Israël ». Ces pays auxquels s’étaient joints Cuba, le Nicaragua et l’Uruguay avaient voté au Conseil des droits de l’homme des Nations unies la proposition de résolution exigeant l’ouverture d’une enquête internationale. L’émergence économique, l’aisance nouvelle acquise par les pays d’Amérique latine, largement épargnés par la dernière crise économique internationale, ont des conséquences de plus en plus perceptibles sur la marche du monde. L’intrusion latino-américaine dans les affaires du Proche-Orient mal vécue par Israël et les États-Unis en est aujourd’hui l’une des expressions diplomatiques les plus spectaculaires. Il y a en a eu d’autres. Comme tout récemment la proposition de médiation sur le dossier iranien faite par le Brésil avec la Turquie. Ou en 2003 la contestation réussie du rôle de la Triade (États-Unis, Japon, Union européenne) au sein de l’OMC sur initiative du tort ! (En réalité) C’est toi qui à provoqué tout ce désordre ! Et maintenant tu veux donner plus de liberté à la presse ? ! » Dans un accès de colère, Jafari s’est levé et a gifl é Ahmadinejad, provoquant un tollé et une interruption immédiate de la réunion, qui n’a pas repris son cours depuis. Toujours selon ce témoin, le conseil ne se réunira pas pendant deux semaines durant, jusqu'à l’intervention de l’Ayatollah Janatiqui « réconciliera » les deux hommes. Brésil, de l’Afrique du sud et de l’Inde. Des réseaux intercontinentaux ont été tissés ces dernières années entre latino-américains, arabes, africains et asiatiques. Depuis 2005, par exemple, Ligue arabe et Sud-américains se retrouvent à intervalles réguliers. Equateur et Venezuela ont un dialogue suivi avec leurs partenaires arabes de l’OPEP. Au nom d’une parenté puisant dans un courant d’émigration ancien, Syrie et Liban ont été approchés avec succès par plusieurs pays sud-américains. Le Mercosur a signé un accord de libre-échange avec l’Égypte. Il a décidé le 17 décembre 2010 d’ouvrir une négociation avec l’Autorité palestinienne afi n de conclure un traité commercial. Le chef d’État brésilien Lula da Silva a effectué une visite offi cielle à Ramallah et Jérusalem, la première jamais effectuée par un responsable de son pays au Proche Orient, en mars 2010. Le rôle international majeur joué par les États-Unis et certains pays européens, est aujourd’hui contesté au Proche-Orient comme dans d’autres parties du monde. Les raisons de cette levée de bouclier n’ont rien de particulièrement surprenant. Les peuples et pays soumis à une tutelle extérieure et aux effets d’une relation inégale, s’engouffrent dans la brèche, quand elle se présente, de nature à leur permettre de retourner cette situation. Or, depuis plusieurs mois, les États-Unis et l’Europe sont affaiblis par une crise économique durable, embourbés militairement comme éthiquement en Afghanistan, fragilisés par une instabilité parlementaire et gouvernementale croissante. La montée en réseau des pays émergents a trouvé sur le dossier du Proche-Orient l’occasion de signaler un nouvel état des lieux internationaux. Wikileaks : Ahmadinejad giflé par un commandant de la Révolution Getty Images Le 31 décembre 2010, rencontre du président palestinien Mahmoud Abbas et du président brésilien sortant Luiz Inácio Lula da Silva. Même si la paix semble acquise à court terme entres les deux dirigeants, le câble diplomatique annonce que les deux clans se préparent à de futurs affrontements, avec des manœuvres des différents sous-groupes. Pour preuve les importants discours récemment prononcés par Karroubi et Khatami laissant entendre que M. Ahmadinejad pourrait ne pas terminer son mandat et que les leaders suprêmes ne devraient affi cher de soutien à aucun parti politique. Le câble fait remarquer que « Karroubi a choisi chaque mot avec soin » et que les discours récents refl ètent l’effort entrepris pour séparer Khamenei du groupe d’Ahmadinejad. Pour le témoin, la situation politique générale tant interne qu’externe de l'élite politique est de « pire en pire ». Cette situation, poursuit-il, (de protestations et d'instabilité) ne peut pas durer éternellement, et il est prévisible que les événements s’orientent vers des évolutions importantes et une nouvelle étape. Quand on lui demande à quoi ressemblera l’Iran dans un an, il répond : « Reposez-moi la question après le 11 février » (jour du 32 e anniversaire de la révolution iranienne). Ce 11 février approche à grand pas et la politique iranienne continue d’être agitée. Les dernières semaines ont vu d’importants remaniements dans l'entourage d'Ahmadinejad. Après que le Parlement iranien a remercié le président du conseil d'administration de la banque centrale du pays, Ahmadinejad a évincé des postes d’autorité tous les membres clés de son gouvernement. Le plus haut gradé à avoir été limogé est le ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki, et dans une décision radicale survenue le 2 janvier, Ahmadinejad a évincé quatorze de ses plus hauts conseillers. On ne peut pas se prononcer à présent sur la nature politique ou non de cette décision, mais selon le Times of India, ces « licenciements semblent indiquer un désaccord au plus haut niveau du gouvernement iranien, opposant le président à ses rivaux conservateurs ». MICHAEL BUSCH |