2 International www.lagrandeepoque.com 16 – 31 OCTOBRE 2010 ● La Grande Époque La « question rom » vue depuis l’Europe de l’est De notre envoyée spéciale en Bulgarie SOFIA – Les récentes expulsions de Roms résidant en France, qui ont été renvoyés en Roumanie et Bulgarie, ont rouvert une discussion ancienne sur le destin de cette minorité ethnique. Beaucoup d’Européens jugent les Roms comme des escrocs, des voleurs, vivant une vie parasite en profi tant des aides sociales. Cette attitude, disent les défenseurs des droits de l’homme et les organisations roms, est la plus simple expression du racisme Emil Cohen, du Comité Helsinki, est le rédacteur du magazine en ligne « Human Rights in focus ». Il rappelle que les Roms sont les descendants d’une grande vague d’immigration venue d’Inde vers l’Europe, il y a près de 1.000 ans. Ils étaient pour la plupart membres des castes basses de la société indienne et n’ont jamais pu dépasser les préjugés négatifs à leur sujet, ce qui expliquerait en partie leur choix de style de vie. « La répulsion de ceux qui sont différents, en particulier s’ils sont ‘inférieurs’est une caractéristique socio-psychologique. Il est normal de penser que ceux qui sont les plus pauvres, les plus sales et les plus bas, stimulent une répulsion encore plus forte », explique Cohen. Le racisme a d’après lui des racines psychologiques immuables : en haïssant, les gens affirment leur propre statut. La haine est utilisée souvent pour enfouir les souvenirs de son propre passé et le sentiment de honte. De plus, en laissant agir la répulsion provoquée par quelqu’un perçu comme inférieur, les gens se glorifi ent eux-mêmes. Tout cela, multiplié par un millier d’années de non-adaptation des Roms à la société, a pour conséquence un rejet : « Quand vous ne permettez pas à un groupe de gens de rejoindre la société, accroissant ainsi les différences, et que vous lui créez toutes sortes d’obstacles, ce groupe se recentre sur lui-même. Pour se défendre, il conserve plus encore ses traditions, sa culture, sa façon de penser et de vivre ». Les Roms, non intégrés à la société sont effectivement les mêmes qu’il y a 150 ans : pauvres, ils habitent des camps de fortune et ne reçoivent que peu ou pas d’éducation. Valeriu Nicolae, fondateur du Centre des Politiques pour Roms et Minorités, basé à Bucarest, souhaite promouvoir le concept de citoyenneté responsable. Il pense que la raison pour laquelle les Roms sont toujours « à l’extérieur » de la société est qu’ils ne se considèrent pas comme des citoyens de leur propre pays. Ils se comporteraient, au contraire, tel que l’opinion générale les défi - nit – comme des étrangers. Mais ceci peut changer, pense-t-il : « D’abord il faut que ces Roms qui ont réussi socialement assument leur responsabilité et disent qu’ils sont Roms. Cela aidera la société dans son ensemble. À court terme, ce sera diffi cile pour eux, parce que les gens n’aiment pas les Roms, mais sur le long terme, ce sera bénéfi que pour la société. Les non Roms réaliseront que beaucoup de Roms sont exactement comme eux, et les enfants roms vivant dans les ghettos auront de bons modèles à suivre ». D’après lui, de nombreux Roms sont dans Manifestation devant l’ambassade de France à Sofi a en Bulgarie. les couches supérieures de la société mais sont invisibles : « Moi-même je suis très bien intégré à la société, comme beaucoup d'autres Roms. Malheureusement nous ne sommes pas visibles parce que nous ne correspondons pas aux stéréotypes : les gens voient les Roms avec des a priori négatifs à l'esprit parce qu'ils sont éduqués dans ces a priori. Il est faux de dire que les Roms ne s'intègrent pas - c'est juste que ceux qui s'intègrent ne sont plus perçus comme Roms ». Nadezhda Chipeva/Capital Valeriu Nicolae/Policy Center for Roma and Minorities Des enfants roms en cours d’apprentissage de lecture en Roumanie. L'éducation, clé du problème Pour Nicolae, l'assimilation sociale complète des Roms demande des efforts, aussi bien de la société que de la minorité rom ainsi qu’une prise de responsabilité. Pour refl éter cet esprit de responsabilité à part égale, le centre qu'il dirige embauche 50% de Roms et 50% de non Roms pour être un premier laboratoire de socialisation. Le comité Helsinki bulgare d'Emil Cohen a mis en place un programme qui a aidé près de 3.000 enfants rom à entrer à l'école et à communiquer avec des enfants non roms. Ce programme est en cours depuis plus de dix ans en Bulgarie, mais est exclusivement piloté par des associations, sans intervention du Gouvernement. Il a été réalisé en suivant le modèle d'un programme comparable créé aux États-Unis dans les années 1950 pour dépasser les barrières de la ségrégation des afro-américains dans certains États. « C'est la façon la plus effi cace et la moins chère pour sortir de la situation actuelle d'intolérance et de rejet », explique Cohen. D'après Valeriu Nicolae, l'Europe est globalement un continent raciste qui a un fort retard à rattraper en comparaison des États- Unis et du Canada : « Les États-Unis et le Canada ont fait de gros efforts dans l'éducation contre le racisme. Ils ont réalisé qu'il faut continuellement éduquer les gens pour éviter les heurts et les violences racistes. Mais en Europe, personne ne fait porter les efforts sur ce type d'éducation. L'éducation en Europe fait la promotion inepte du nationalisme, avec des messages du type'notre pays devrait être bien plus grand qu'il n'est actuellement' ». Mais avant tout, dit Nicolae, les gens doivent réaliser que dans les frontières de l'Union européenne, ils sont avant tout citoyens européens, peu importe leur ethnie. « Une solution possible du problème rom serait une réfl exion de fond par les Européens sur ce que signifi e être un Européen : quelles sont nos responsabilités et nos droits ? La meilleure chose qui pourrait arriver serait la création d'une identité européenne transcendant les concepts de nationaux, radicaux, patriotiques. Nous devrions avoir cette conscience que nous sommes Européens et que'nous'signifi e'nous tous', peu importe notre ethnie d'origine. » Conflits avec les Gouvernements La route sera longue. De trop nombreux crimes sont commis par les Roms en Europe du Centre et de l'Est, où ils vivent en grand nombre. Depuis janvier 2007, quand la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l'Union européenne, de tels cas se sont multipliés aussi dans d'autres pays européens. En mars cette année, les autorités milanaise ont décrété l'état d'urgence et conduit des raids policiers sur des commandos de pickpockets composés d'enfants roms. Les autorités italiennes ont découvert que certains de ces enfants gagnaient jusqu'à 15.000 euros par mois pour leur chef de clan. En septembre dans la ville bulgare de Yambol, un ensemble d'appartements offerts à environ 900 Roms a été évacué après que les autorités ont découvert que les rampes métalliques des escaliers avaient toutes disparu. De nouveaux logements sociaux ont été proposés à certains, tandis que d'autres sont revenus dans les ruines des appartements qu'ils avaient euxmêmes détruits - en Bulgarie, il est courant que les Roms vendent tout le métal qu'ils trouvent à des ferrailleurs et brûlent les isolations en bois des appartements comme du bois de chauffage. Des préjudices notables Amnesty International a écouté les revendications des Roms et proposé une solution de sortie de crise. « Il y a un immense besoin d'avoir des mesures renforcées pour combattre les stéréotypes qui sont la racine de la discrimination dont souffrent les Roms, mais sans que cela endommage leur culture et leurs traditions », explique Barbora Cernusakova, une experte de la situation des Roms d'Amnesty International à Londres. « C'est vrai aussi bien en Europe de l'Ouest qu'en Europe de l'Est. Malheureusement, la réponse que de nombreux Gouvernements apporte aux tensions sociales n'a fait que les stigmatiser et les marginaliser plus encore. » Pour Mme Cernusakova, l'Europe est encore un continent dans lequel les politiciens peuvent gagner des points d'opinion favorable en promettant de frapper fort contre les « crimes des Roms » ou en nettoyant une ville de « mendiants roms ». Dans certains pays, les formes les plus extrêmes de ressentiment peuvent être exprimées sans conduire à une condamnation, comme les hymnes « nous haïssons les Tziganes » ou les banderoles comme « mort aux Tziganes » déployées lors d'un match de football en Roumanie en 2006. Des partis d'extrême-droite, souvent avec des rhétoriques ouvertement anti-Roms, sont en pleine ascension, comme le montrent les résultats des élections parlementaires européennes de 2009. Il faut donc « par-dessus tout que la voix des Roms puisse être entendue », dit la militante. Outre-Atlantique, le Département d'État américain a aussi exprimé ses inquiétudes quant au problème rom en Europe et a promis son aide : « Les États-Unis travaillent continuellement à l'amélioration de la situation des Roms, à travers nos relations bilatérales et l'implication d'organisations comme l'OSCE et les Nations unies », indique Nicole Thompson, de la direction des relations presse du Département. Pendant le mouvement des droits civiques dans les années 1950 et 1960, la ségrégation était justifiée par la haute incidence de problèmes sociaux dans la communauté afro-américaine. Martin Luther King Jr répondait que la ségrégation tentait de justifi er son existence en montrant une situation qu'elle avait elle-même provoquée. Une réponse qui devrait probablement être au cœur des réfl exions des Européens. KREMENA KRUMOVA Je m’intéresse au monde, je lis La Grande Époque Abonnez-vous dès aujourd'hui en remplissant le bulletin d'abonnement page 15 33 PAYS 17 LANGUES 1 JOURNAL La Grande Époque The Epoch Times |