Débat vers un nouveau contrat de travail Un Nobel à la rescousse Jean Tirole : « le gouvernement doit vite créer un contrat unique » Les politiques semblent accorder aujourd’hui une oreille attentive aux analyses du prix Nobel d’économie 2014... ce qui n’a pas toujours été le cas ! Sa proposition de réforme de grande envergure lancée en 2003 n’avait pas franchement rencontré le même écho. Le diagnostic semble pourtant ne pas avoir changé d’un iota : « Le marché de l’emploi français est catastrophique. Du chômage depuis 30, 40 ans, des embauches en CDD parce que les entreprises ont peur du CDI. La situation est complètement absurde ! À force de trop protéger les salariés... on ne les protège plus du tout ». Selon le directeur scientifique de l’Institut d’économie industrielle (IDEI) de Toulouse, le problème se situe bien au niveau des choix politiques : « Ce n’est pas un hasard si toute l’Europe du Sud, qui a exactement les mêmes institutions du marché du travail, s’est retrouvée avec Jean Tirole, beaucoup de prix Nobel chômage, d’économie alors que l’Europe du Nord, la Scandinavie par exemple, qui a un système différent, a peu de chômage ». Face à cette situation, Jean Tirole préconise l’instauration d’un contrat de travail unique et une taxe sur les licenciements. les titulaires du CDI une assurance contre le chômage. Il existe chez les salariés une peur de se faire licencier comme il existe chez les entrepreneurs une peur d’embaucher. Pour les mêmes raisons : les salariés craignent le licenciement parce qu’ils ne sont pas « JE RÊVE QUE LE CODE DU TRAVAIL SOIT REMPLACÉ PAR L’ARTICLE DE LOI SUIVANT : « LE CONTRAT DE TRAVAIL EST LIBREMENT DÉTERMINÉ PAR ACCORD ENTRE UN SALARIÉ ET UN EMPLOYEUR » ». Pascal Salin, économiste à Paris-Dauphine assurés de retrouver un emploi et les entrepreneurs ne créent pas d’emploi parce qu’ils redoutent de devoir licencier. C’est la quadrature du cercle. Si les conditions de séparation étaient plus souples, le flux d’embauches serait plus important et les salariés ne vivraient pas dans la crainte de perdre leur emploi. Le licenciement se banaliserait, comme c’est le cas aux États-Unis, en Grande-Bretagne, et ne serait plus vécu comme un drame ou un échec personnel comme c’est le cas aujourd’hui à juste titre. Le CDI est une condition sine qua non pour obtenir un prêt. Sans CDI, il est très compliqué pour un certain nombre de Français d’avancer dans leurs projets familiaux. Un gouvernement peut-il avoir le courage politique de le remettre en cause ? Sophie de Menthon : Il faudrait pour cela commencer la pédagogie avant ! Le gouvernement qui supprimera le CDI passera pour ULTRA-LIBÉRAL, alors qu’il sera au contraire celui qui fera le plus pour l’emploi ! Si on remet en cause le CDI, il faut casser les référents : proposer des contrats ad hoc entre entreprise et salarié... y compris sur le temps de travail. On ne fait pas le même contrat à un informaticien qui bosse de chez lui et à une fleuriste, à un serveur ou à une secrétaire... Pascal Salin : Je crains malheureusement qu’aucun gouvernement n’ait ce courage. L’expérience passée montre bien que les gouvernements de droite comme de gauche manquent de convictions et qu’ils ont une peur viscérale des syndicats qui ne représentent pourtant qu’une infime minorité des salariés ! On ne peut espérer un changement que si l’opinion publique changeait profondément et si les électeurs faisaient pression pour cette remise en cause. Pierre Gattaz : Il le faut car l’enjeu c’est l’emploi. La priorité, c’est quoi ? Sanctuariser le Code du travail ou créer de l’emploi ? Pour moi, la priorité c’est l’emploi, l’embauche des jeunes et des demandeurs d’emploi, pas la préservation du Code du travail. Certes dans l’immédiat, la remise en cause du CDI peut apparaître comme explosive si elle n’est pas mise en perspective. Mais à court terme ce serait plutôt un gain pour tout le monde car une réforme du CDI libérera l’embauche, les entreprises pourront se développer et donc créer d’autres emplois. Le réservoir d’emploi se trouve dans les TPE et les PME, ce sont ces entreprises qui peuvent embaucher. Il suffirait qu’une partie de ces millions de petites sociétés et entreprises embauche un ou deux salariés pour relancer une dynamique forte de création d’emplois. Le CDI doit être adapté à notre économie mondialisée. Le monde bouge, la révolution numérique bouscule tout, les entreprises ont besoin de souplesse. Elles vont se faire broyer et disparaître si elles ne sont pas suffisamment agiles. Le CDI est-il toujours synonyme de sécurité comme l’affirment les syndicats ou, au contraire, d’exclusion pour les nouveaux entrants sur le marché du travail ? Sophie de Menthon : Il n’y a pas de « sécurité » réelle dans la vie, même professionnelle. Il n’y a que les fonctionnaires qui soient en sécurité et cette distorsion est inadmissible. Les syndicats sont majoritairement dans le public, ils défendent donc des privilèges. Il faut redéfinir les missions régaliennes de l’État et réserver le STATUT de fonctionnaires à quelques corps d’État fondamentaux. Pascal Salin : Le CDI est sans doute un élément de sécurité pour ceux qui ont un travail, mais c’est évidemment un facteur d’exclusion pour les nouveaux entrants. Il est de ce point de vue significatif que ces derniers doivent accepter en très grande majorité des contrats à durée déterminée. Mais décider à l’avance d’une durée déterminée ne peut pas être optimal ni pour le salarié ni pour son employeur. Ce dernier est d’ailleurs puni par la loi s’il fait malgré tout ce choix, car on lui impose indem- 66 Entreprendre |