p. 32 ENDEMIX n°16 septembre - novembre 2016 Critiques musique SOL Paul Wamo Sol, Paul Wamo, autoproduction, 2016 Après avoir dompté le feu pour qu’il l’accompagne dans ses voyages, l’Homme s’est assis à côté pour se détendre un peu. D’après les sources (pré)historiques, c’est à ce moment-là qu’il commença à jouer de la guitare, pour magnifier ses joies et ses peines... Doulen, Joémy et Esteban Batista, le petit dernier de 10 ans, sont habitués à partager dans les restaurants de Nouméa leur conception d’une musique gitane improvisée, grande ouverte aux influences du monde (cocktail initial de flamenco et de rumba camarguaise). Avec Al Compas de Fuego Ritano, le groupe familial nous délivre une superbe invitation à voyager. Dix titres qui oscillent entre rythmes (« compas » en espagnol) enlevés (« Je ne peux pas venir ce soir », « Buracho ») et compositions plus mélancoliques qui convoquent parfois d’autres instruments (ainsi du violon sur l’instrumental bien nommé « Suavemente » et sur « Le silence AL COMPAS DE FUEÇie PITANO 4 par Sylvain Derne Al Compas de Fuego Ritano Fuego Ritano Al Compas de Fuego Ritano, Fuego Ritano, autoproduction, 2016 Paul Wamo, slameur, acteur et « icône calédonienne », est parti relever il y a presque deux ans un pari audacieux. Celui d’arpenter le vieux continent, les scènes et les classes de France, pour y partager sa parole féconde. Sol, EP six titres qui a bénéficié des arrangements de David Leroy, puis de la révision et du mixage de Lionel Gaillardin (arrangeur et mentor de chantres de la nouvelle chanson française comme Benjamin Biolay ou Keren Ann...), était un peu annoncé comme un jalon dans la carrière de l’enfant prodigue devenu grand. Avec « Le Kaillou », ça commence fort. La voix vibrante du poète résonne sur l’orchestration tout en profondeurs, colorée, qui mêle au didgeridoo l’harmonica, au saxophone les bambous. Les images évocatrices nées de la langue dansent au milieu de cette savante alchimie sonore : « … Et puis c’est triste un mardi avec des bleus dans le ciel/On dirait que le jour va finir par mourir, et que la nuit va prendre sa revanche… ». Mais ensuite Sol tourne un peu au buffet, avec du tiède et du réchauffé, sur lequel pourraient piocher ceux qui ne connaissent pas l’univers de Paul. Deux morceaux sont des réinterprétations de textes bien connus, « Noir noir » et « Je reviens » (ce dernier étant par ailleurs proposé en drehu dans un beau registre nostalgique, étayé par l’accompagnement aux guitares, qui rappelle les douces mélopées des Loyauté). « Petit pays krois » et « Nous nous souviendrons » pèchent par des textes convenus, qui se veulent politiques mais restent assez superficiels (« disons merde à la mort et oui à l’amour »). Les chœurs se réfèrent aux taperas par instants, mais ne sont guère convaincants sinon. Au final, ces quinze minutes de Sol sont loin d’être désagréables. Mais ce projet, peaufiné sur le plan instrumental et la production, manque d’audace artistique et d’inspiration, deux qualités dont on sait cependant Paul Wamo très bien pourvu. PI de tes mots » aux textes très émouvants). L’hommage à « Santa Sara », qui veille sur les Gitans camarguais, s’emballe progressivement pour finir sur les chapeaux de roue. Quelques morceaux nous séduisent moins (ainsi de « Celtik Dreaming », à la mélodie et aux arrangements plus artificiels), mais on ressort de l’écoute conquis par la virtuosité des guitaristes, et le timbre grave, rauque, de Doulen. Sa voix sublime la langue de Paco de Lucia et rappelle parfois celle de Tonio, le chanteur des Niños de Sara, groupe gitan originaire de la région montpelliéraine, tout comme les Batista. Los Niños ont notamment accompagné des sommités du flamenco comme Manitas de Platas, disparu en 2014 à 93 ans... Ce dernier était le beau-père de Doulen et grandpère de Joémy. Les musiciens ont rendu le monde petit, et grâce à des gardiens aussi éminents, le « feu gitan » qui a traversé les océans n’est pas près de s’éteindre. |