ENDEMIX n°16 septembre - novembre 2016 Grande interview p.24 Vous ne vous perdez pas dans toutes ces influences ? J’ai au moins trois ou quatre cultures : kanak, javanaise, broussarde et hiphop. Pourtant mes parents ne m’ont pas transmis beaucoup de leur héritage, notamment du côté indonésien. Mais je suis convaincu que le hip-hop m’a permis de me rapprocher de mes racines, kanak notamment, car en étant porteur de cette culture hip-hop, je comprends mieux ce que veut dire le mot « Culture » dans son ensemble. Ce n’est plus quelque chose d’abstrait qu’on reçoit en héritage, c’est quelque chose que j’ai construit moi-même. Cela m’a permis d’aller plus facilement vers les vieux et de leur parler. D’ailleurs, on a souvent discuté ensemble de la « déstructuration » de la culture traditionnelle quand les jeunes y apportent des mouvements modernes. Mais je leur réponds qu’on ne la « déstructure » pas, on la fait évoluer. Et finalement en réfléchissant à cette notion de culture, c’est comme ça qu’on revient à notre héritage identitaire. Vous semblez être très investi dans le milieu. Êtes-vous un artiste engagé ? J’ai des idées, mais je ne suis pas engagé politiquement. Par contre, je travaille beaucoup avec les jeunes pour qu’ils continuent à construire des choses, comme nos grands frères l’ont fait, alors qu’ils n’avaient presque rien à disposition. On a démarré dans la rue ou à la tribu et c’est ça notre force. On se disait « Y’a pas « ça », mais allez, on fait quand même » et peu à peu des établissements ont été construits, des événements ont été organisés. Les artistes réalisent un vrai travail de fond pour le pays, pour le destin commun et il faut que la population en soit complice et que les politiques s’en rendent compte. Personnellement, je rêve d’une maison des artistes avec des salles de répétition ouvertes à tous les arts, des scènes, des ateliers. Tu veux sculpter là, alors installe-toi. Tu veux danser ici... Ce qui existe déjà est bien, mais il nous faudrait un vrai pôle où on est en confiance, où l’imagination et la créativité seraient entièrement libres, comme à l’Université de Fidji par exemple. À mon sens, c’est le seul moyen d’évoluer vers plus de professionnalisation, plus d’interaction qui ouvre les esprits. Ici, on avance à trop petite échelle. Regardez à La Réunion, les artistes sont bien plus considérés, bien plus pros, bien plus exportés ! Yoan, vous êtes reconnu par beaucoup comme étant un très bon danseur. Quelle est votre signature ? Je pense que c’est la poésie... C’est d’ailleurs pour ça que je suis si sévère avec les danseurs que je dirige. Je veux qu’ils sortent des émotions sur scène, de l’amour, de la haine, de la poésie, de la passion, et pas seulement de la technique. Qu’ils ne soient pas que des petits danseurs hip-hop qui amusent le public en sautant partout ou alors qu’on arrête de croire que ce ne sont que des voyous sous leur capuche. Il faut qu’ils trouvent leur poésie, on l’a tous en soi. Et c’est aussi une des issues pour faire durer sa danse, car si on ne fait que de la performance, on est cassé à 30 ans. Souhaitez-vous ajouter un mot ? Je voudrais sincèrement remercier les artistes et tous ceux qui participent à promouvoir l’art...comme Endemix d’ailleurs ! Merci aussi à toutes les structures qui nous supportent : le musée de Nouvelle-Calédonie, le centre d’Art, le centre culturel du Mont-Dore, le conservatoire de Koné et de Koumac, le centre culturel Tjibaou, le Chapitô de Nouvelle- Calédonie et tous les autres ! Tous ceux qui ont aussi fait en sorte que le hip-hop soit dansé sur scène et plus seulement dans les quartiers. Nous sommes dans une logique de reproduction : nous donnons ce que nous avons reçu et tant que cela sera positif, on ira vers quelque chose de meilleur ! Ces spectacles qui ont marqué Yoan Ouchot > Le Sacre du Printemps de Julien Lestel au festival Waan Danse 2012 « J’y ai découvert une énergie de danse incroyable ! L’esprit est dépassé par le corps. Ce fut une formidable immersion dans l’univers du ballet et un très beau travail en commun car beaucoup de danseurs calédoniens ont participé. » > Pomémie, ouverture du Festival des Arts mélanésiens, 2010 « Là encore, c’est une collaboration d’énormément de danseurs avec le Chapitô de Nouvelle-Calédonie. On a construit un spectacle en pleine forêt, d’arts mêlés. C’était presque mystique. » > Traversée(s), des Artpenteurs du Caillou, 2012 « C’était un spectacle qui parlait de traversées, de passages, de l’arrivée des différentes communautés en Nouvelle-Calédonie. Ce fût ma première scène avec du texte, je jouais un vieux kanak. J’ai beaucoup réfléchi après coup aux relations qu’on entretient tous aujourd’hui, qui découlent des premiers contacts. » Où voir Yoan Ouchot en 2016 ? « Je peaufine la création de Génération Hip-Hop avec les danseurs au centre culturel Tjibaou pour le Waan Danse. Puis je suis moi-même interprète pour les spectacles de danse Cemel…er, Les Fables et des créations beaucoup plus théâtrales comme Maloya et Caillasse. » On a démarré dans la rue ou à la tribu et c’est ça notre force Marc Le Chélard |