Avis d’expert Cloud souverain : un oui franc et massif Orange et Thales viennent de dévoiler la stratégie de leur nouvelle co-entreprise, Cloudwatt, qui propose ses premières offres commerciales de cloud computing. Soutenu par les pouvoirs publics via le Grand Emprunt, ce projet s’ajoute à Numergy, une autre initiative lancée par SFR et Bull, également avec le soutien de l’État. Voici donc revenu le temps des grands projets nationaux. Si le contexte diffère grandement, l’enjeu est le même : celui de doter la France des technologies best of class sur un secteur crucial pour l’économie du pays. Ces initiatives sont loin d’être anodines. Techniquement, le cloud déporte sur des serveurs distants les traitements informatiques traditionnellement localisés sur des serveurs locaux. Il permet aux entreprises d’accéder, à la demande, à des serveurs virtuels délocalisés, mais aussi à un très large éventail de couches de services. Le tout sans acquérir les infrastructures nécessaires. C’est la grande nouveauté. En renforçant la convergence avec les applications logicielles, le cloud computing accélère la « commoditisation » des infrastructures matérielles, dont il banalise l’accès et réduit le coût. Mais que viennent faire les pouvoirs publics dans un secteur historiquement porté par la seule initiative privée, à l’heure où des acteurs aussi divers qu’Oracle, IBM, voire OVH ou Cheops Technology, cohabitent avec les pionniers que sont Microsoft et Amazon Web Services ? L’enjeu de la souveraineté La nationalité des leaders du secteur, essentiellement américaine, excluait jusqu’à présent du marché un grand nombre d’acteurs économiques français. D’une part, le Patriot Act, signé par George W. Bush en 2001 dans le cadre de la lutte anti-terroriste, permet au gouvernement des États-Unis d’obliger une entreprise américaine installée n’importe où à lui transmettre les données qu’elle héberge. D’autre part, les data centers sont souvent situés en dehors de l’UE, sans visibilité sur les législations auxquelles ils doivent répondre. Cette vulnérabilité à l’égard de l’arbitraire d’États étrangers excluait de fait les entreprises de secteurs sensibles, les acteurs publics, mais aussi certaines entreprises évoluant dans les secteurs réputés non stratégiques, mais dont le modèle repose sur la conservation et le traitement d’un très grand nombre de données. Avantages : ces clouds souverains lèvent donc cette 88 EDI n°24/Décembre 2012 - Janvier 2013 Romain Chaumais, ingénieur diplômé de l’École nationale supérieure d’électricité et de mécanique, est co-fondateur et directeur des opérations de l’intégrateur Ysance. contrainte et offrent une utilisation sécurisée du cloud, dans le cadre d’une législation française réputée stricte en matière de confidentialité. L’enjeu de la compétitivité À l’heure où le législateur doit définir une feuille de route pour restaurer la compétitivité des entreprises françaises, il est un levier largement sous-utilisé : les dépenses informatiques. Jusqu’à récemment, les entreprises se dotaient d’infrastructures dont la taille était fonction des seuls pics d’utilisation. Résultat : une grande partie des capacités de serveurs était sous-utilisée la plupart du temps. En permettant aux entreprises d’accéder à des ressources externes dans des proportions potentiellement illimitées, le cloud mutualise une grande partie des surcapacités internes, et en variabilise le coût. Or, les projets de cloud souverain vont cristalliser une masse de données exponentielle émanant des utilisateurs captifs. Cette inflation de données génèrera donc des économies d’échelle colossales et alimentera la baisse tendancielle des prix du stockage. Si les grandes entreprises, qui économiseront de lourds investissements en data centers, sont les grandes bénéficiaires de la montée en puissance du cloud français, elles ne sont pas les seules. À l’autre bout du spectre, le nuage ouvrira le champ des possibles aux PME et viabilisera, en retour, des projets entrepreneuriaux. L’enjeu du développement économique Le cloud souverain veut rattraper le retard accumulé par la France vis-à-vis des États-Unis en matière d’infrastructure, créer un nouveau domaine d’excellence sur un thème porteur d’avenir, et capter une part des 140 milliards de dollars que devrait représenter ce marché à l’horizon 2015 (source Gartner). En rentabilisant des usages autrefois non profitables, ce type de cloud offrira aux entreprises la proximité avec un écosystème aussi riche que dynamique et favorisera la création de valeur pour l’ensemble de l’économie. Toute cette potentialité justifie l’ampleur des projets annoncés. Et demain ? Le cloud souverain n’a pas vocation à remplacer les leaders comme Amazon Web Services. Il accélérera la structuration du marché en améliorant sa qualité globale et amènera les acteurs du secteur à se spécialiser. Bref, le cloud souverain contribuera à faire des entreprises françaises des acteurs à part entière de ce nouvel univers. ● |