rétrospective : Ross McElwee 24 Bright Leaves, 2003 Le cinéma de Ross McElwee consiste à faire de cette temporalité intime le fil narratif de chacun de ses films. Entre souvenirs et découvertes, le montage opère de brusques bifurcations. Comme le remarque Richard Leacock : « Time Indefinite (1993) est d’abord conçu comme la chronique des fiançailles et du mariage de Ross avec la réalisatrice Marilyn Levine. Mais la mort du père de McElwee transforme le film en une conversation sur le passage inexorable du temps ». Le réalisateur reconnaît luimême que cette ouverture au présent fait partie de son processus de création : « Je commence à filmer avec une idée générale en tête – mais le plus souvent, ce n’est guère plus qu’une intuition, et je découvre le sujet du film quand je tourne, et au montage. Par exemple, dans Sherman’s March, je savais que je voulais suivre l’itinéraire du général Sherman pendant la guerre de Sécession lors de sa célèbre marche vers la mer, mais je savais également qu’au moment où je filmerais, pendant mon voyage, d’autres thèmes allaient surgir. C’est ce qu’il s’est passé. » Normes Plutôt qu’un documentaire historique, Sherman’s March est, de fait, un récit autobiographique sur la quête amoureuse autant qu’une galerie de portraits de jeunes femmes. En imposant la première personne dans son récit, Ross McElwee dissipe néanmoins toute ambition anthropologique ou toute posture idéologique, questionnant, sans les remettre radicalement en cause, nombre de normes sociétales. La famille constitue son milieu d’exploration privilégié. Les liens générationnels forment l’armature de la quasi-totalité de ses films : la figure du père, particulièrement, traverse Sherman’s March, Time Indefinite, et jusqu’à Photographic Memory. La mort de la mère est un motif omniprésent de Backyard. La notion même de famille est remise en question en permanence. Citant sa mère, Ross McElwee explique d’ailleurs face caméra dans Sherman’s March : « Tout commence et tout finit avec la famille. Je ne sais pas, quelque chose en moi résiste à cette idée ». Est-ce pour s’y faire ou pour la déconstruire que le film suit sa recherche d’une épouse ? Les documentaires suivants font apparaître des motifs plus variés. Le réalisateur s’en aperçoit dans Six O’Clock News : « Trois portraits émergeaient des rushes, et dans chacun d’entre eux j’ai perçu une posture particulière face au destin, au hasard et à la religion ». À propos de Bright Leaves, au cours duquel il s’interroge sur la ressemblance troublante entre son arrièregrand-père, cultivateur de tabac ruiné, et le personnage interprété par Gary Cooper dans le film Bright Leaf (Le Roi du tabac, 1950), Ross McElwee analyse : « J’espérais aussi qu’avec un peu de chance, le film aborde des thèmes plus universels : l’addiction, le déni, l’héritage, ce que signifie un foyer, et même ce que veut dire réaliser des films ». Dans le dialogue qu’il provoque en filmant, le réalisateur cherche à faire émerger à la fois des individualités et les fragments d’un collectif. « Vous êtes gentils », dit-il dans Six O’Clock News à une femme qui protège les effets personnels de ses voisins absents, dont la maison a été soufflée par une tornade. « Oui, lui répond-elle, on est comme ça, on est Américains. » Documentaire sur grand écran |