DOSSIER - Analytique Selon vous, qu’est-ce qui pousse une personne à entreprendre ? Jacques Beaumont : A mon avis, s’il n’y a pas d’entrepreneur type, il y a deux styles de motivation qui peuvent éventuellement coexister. Tout d’abord, il y a la motivation passive. L’opportunisme. L’entrepreneuriat serait comme la solution qui s’impose par rapport à une situation ou à l’air du temps. La société dans laquelle on vit joue aussi son rôle car elle pousse de plus en plus, par les médias par exemple, les gens à se mettre à leur compte. L’entrepreneuriat est devenu respectable et bien valorisé. La deuxième motivation vient de l’inconscient et de l’archétype du héros. Selon les théories jungiennes, cet archétype, logé dans l’inconscient collectif, pousserait certaines personnes à vouloir s’imposer et créer leur propre cadre. Ils n’ont plus envie d’évoluer dans un cadre imposé, ils ont envie d’imprimer leurs marques. Ces personnes sont-elles folles ou inconscientes ? Il faut une dose d’inconscience pour se lancer. En effet, dans la vie de tous les jours, on voit surtout les risques et les difficultés et on a du mal à se projeter dans l’avenir. Pour monter son entreprise, il faut pouvoir faire le contraire. L’inconscience est donc nécessaire et l’archétype du héros, qui « aveugle », va mobiliser de l’énergie pour arriver à faire face aux problèmes. Le héros 16 Créateurs No 4 Un héros archétypique est porté par une force plus profonde avec des perspectives plus larges. Il peut mieux encaisser les chocs et affronter les difficultés. C’est pourquoi il ose se lancer dans cette aventure à haut risque. Pourquoi certains membres de l’entourage ressentent-ils le besoin de décourager un porteur de projet ? En fait, que ce soient des encouragements négatifs ou positifs, l’entourage – la famille, les amis, les collègues – va simplement projeter son propre équilibre sur le porteur de projet. « A mon avis, s’il n’y a pas d’entrepreneur type, il y a deux styles de motivation qui peuvent éventuellement coexister » En préparant ce dossier, nous nous sommes demandés s’il existait une typologie psychologique de l’entrepreneur, nous avons cherché à comprendre si son audace n’est pas, tout compte fait, de l’inconscience, si ses convictions ne sont pas le reflet d’une trop grande estime de soi. Pour y répondre, nous avons fait appel à Jacques Beaumont, spécialiste de la psychologie analytique, la méthode développée par le Suisse CarlGustav Jung, disciple dissident de Freud. C’est un comportement complètement dicté par l’inconscient. Les gens ne se mettent pas réellement à la place des autres. Ils donnent leur avis par rapport à leur vécu, leurs envies, leurs espoirs, leurs convictions, leurs peurs, etc. indépendamment des capacités et des possibilités de réussite du porteur de projet. En somme, ce dernier devient un support de projection pour les autres. Prenons un exemple : si l’un de vos amis décide de faire le tour du monde à la voile et que de votre côté vous avez toujours eu le désir de le faire mais que les possibilités vous ont manqué, vous allez encourager cette personne car elle va réaliser ce que vous n’avez pas pu ou pas osé faire. Si la mer vous faisait peur, vous le décourageriez. Y a-t-il des dangers à aimer prendre des risques ? Selon l’approche jungienne, lorsqu’une personne est « possédée » par l’archétype du héros, elle peut déployer une forme de démesure, appelée hybris. Le porteur de projet aura alors du mal à s’arrêter et va vouloir aller de plus en plus loin, au-delà de ses capacités. Cela se traduit, par exemple, par une incapacité à revenir à un rythme normal. Il en oublie jusqu’à sa famille. Il ne voit plus pourquoi s’arrêter, même si le but visé est atteint. En somme, l’aveuglement qui a permis de braver les difficultés lors des débuts empêche l’entrepreneur de revenir à une attitude plus sereine et moins néfaste pour sa santé, son équilibre. Je dirais, en conclusion, qu’un créateur d’entreprise doit comprendre et reconnaître, à un certain stade de sa trajectoire, face aux seuils de sa vie, ce qui l’a guidé à la réalisation de son projet. Afin d’éviter la démesure, l’insatisfaction et la spirale infernale qui peuvent le menacer. Une façon, certainement moins dangereuse que le burn-out, de se réapproprier sa vie. Profil : Propos recueillis par Leïla Kamel Jacques Beaumont, analyste jungien, a débuté son parcours professionnel en tant qu’ingénieur. Après plus de vingt années dans de nombreuses entreprises, son intérêt pour l’Homme devient primordial. Il suit pendant 6 ans des études de psychanalyse à l’Institut CG JUNG de Zürich. Aujourd’hui, il aide ses patients à (r)établir leur équilibre personnel. |