Cadavres exquis -/Exquisite corpses Par Maurice Gouiran et Gérard Martin Les surréalistes ont inventé le « cadavre exquis », un jeu d’écriture enchaînée à l’aveugle par plusieurs auteurs, porté par la poésie du hasard sur la reprise d’un dernier mot. En hommage à « Cadavres Exquis, suite méditerranéenne » l’exposition du musée Granet, M. et G. – ou G. et M.– nous livrent leurs échanges. -/The Surrealists invented the "exquisite corpse" game in which each player adds to a composition, seeing only the last word the previous player has written and starting from that : the poetry of chance. In homage to the exhibition Cadavres Exquis, suite méditerranéenne at the Musée Granet, M. and G. or G. and M. have a go. Philippe Favier, Sciophiligranes, photo D.R. ADAGP. La mer mère -/sea-mother Philippe Mouillon Elle est là, la mer, la mère de la tragédie et du voyage, notre trait d’union, notre référence, notre nourrice, celle qui nous fait frères. Elle est notre rêve et notre exode, elle ensoleille notre révolte et berce notre exil. Et si l’art n’était qu’un perpétuel exil, la conquête d’un territoire fantasmé ? L’image projetée des autres et de soi. La musique est faite de bruits réinventés. Et les mots, comme l’enseigne Albert Camus, l’Étranger, donnent naissance à la littérature. La littérature, c’est le nénuphar de la Méditerranée. Une fleur aussi noire que l’encre de Vázquez Montalbán à Barcelone, de Markaris à Athènes, de Camilleri à Agrigente, de Khadra à Alger, de Chraïbi à Tanger ou d’Izzo à Marseille. Marseille plaque tournante de tous les langages, de tous les courants de pensées, de tous les trafics. Marseille, sanctuaire de la Bonne Mère. Marseille qui donna son titre à l’hymne d’une nation dont les maîtres la privèrent de nom, ville sans nom, capitale des galères du Roi. Marseille que Cendrars disait ville de la seconde chance. La chance, on ment quand on dit que ça se mérite… On veut rejoindre New York, on s’arrête à Marseille, faute de fric pour aller plus loin. On rêvait de Manhattan, on dort dans un campement minable du boulevard Oddo. C’est ici qu’on fera sa vie. Vie et mort sans cesse accouplées, creux et crêtes, flux et reflux des vagues, la mer, « la mer toujours recommencée… » mère de mille images, miroir des pensées, berceau des îles et des villes, rue liquide, reflet de nos destinées fragiles, mémoire vive qu’un bug peut effacer. Et Marseille toujours palpite. -/She is here, the sea, mother of tragedy and voyage, our common bond, the wet nurse by whom we are made brothers. She is our dream and our exodus, she lights our revolt and lulls our exile. What if art were nothing but a perpetual exile, the conquest of an imaginary land ? The projected image of oneself and others ? Music is made of reinvented noises. And words, as Albert Camus tells us, give birth to literature. Literature is the water lily of the Mediterranean. A blossom black as the ink of Vázquez Montalbán in Barcelona, Markaris in Athens, Camilleri in Agrigente, Khadra in Algiers, Chraïbi in Tangiers and Izzo in Marseille. Marseille, transit point for all languages, all currents of thought, all illicit trade. Marseille, blessed by Notre Bonne Mère on her hill. Marseille that gave its name to the national anthem and whose name the revolutionary government abolished : the "Ville sans Nom". Marseille that Cendrars called the "town of the second chance". Chance does not always come to the deserving. Migrants heading for New York stopped in Marseille for lack of money to go further. Dreaming of Manhattan they slept in a miserable camp on Boulevard Oddo and there each built their life. Life and death in endless lovers'embrace, crest and trough, ebb and flow, the sea "forever recommenced", bringing forth a thousand images, mirror of thoughts, cradling islands and cities, reflection of our fragile destinies, random-access memory that a bug can wipe out. And the heart of Marseille beats on. 14 |