PORTRAIT MADE IN CHINA 60 Ella Maillart et Nicolas Bouvier, qui, eux, m’ont enseigné qu’il faut laisser ses a priori à la première consigne venue. D’ailleurs, comment leur donner tort ? Et pourquoi s’en encombrer ? On en trouve tellement partout des a priori. Qu’est-ce qui vous a le plus choqué à votre arrivée ? Surpris, agréablement surpris, étonné, déçu aussi… Je le suis quotidiennement et par tant de choses qu’il me faudrait faire un premier tri avant de vous répondre, afin de ne pas tomber dans toute l’« épinalerie » chinoise… Pour vous répondre tout de même, je crois que je suis toujours stupéfait par cette façon qu’ils ont de se suffire à eux-mêmes et de ne considérer le monde extérieur que comme très secondaire. Il y a la Chine et le reste du monde. J’ai souvent le sentiment qu’elle s’en passerait volontiers car elle entretient avec lui une relation que je sens maladroite et toujours très forcée. Choqué, désolé surtout… Je le suis bien sûr lorsqu’ils condamnent sévèrement, emprisonnent sous de mauvais prétextes et dans une indifférence quasi générale tous ceux qui risqueraient de les empêcher de penser en rond. Qu’est-ce que c’est d’être un étranger en Chine aujourd’hui ? C’est incarner la définition donnée par le Petit Robert : « une personne qui ne fait pas partie ou n’est pas considérée comme faisant partie de la famille, du clan ; personne avec laquelle on n’a rien de commun. […] » Les Chinois sont véritablement hospitaliers mais, et même si vous vivez trente ans en Chine, même si vous parlez parfaitement leur langue, même si vous avez des amis, une belle famille chinoise, à leurs yeux vous resterez toujours un étranger. « Quand tu n’as rien à dire, dis un proverbe chinois ! » vous a suggéré un ami… La vie d’un Chinois est-elle donc parsemée de proverbes et de croyances ? C’est une grande civilisation, avec son histoire, ses coutumes, ses proverbes, ses traditions… Elle s’arrange de tout ça comme elle peut… La Chine d’aujourd’hui est très attachée à son passé. Sauf quand il la gêne. Dans ce cas, elle le glisse comme de la poussière sous un tapis… C’est vraiment étonnant à voir. « La Chine est menée par ses filles » dites-vous. Pour quelles raisons ? Les hommes chinois sont élevés avec cette idée qu’il ne peut être supportable de « perdre la face » devant autrui. A mon sens c’est l’un de leurs pires handicaps – j’allais dire défauts. Cela les conditionne dès l’enfance, empèse leur vie, les enferme souvent dans une sorte d’orgueil buté et ridicule. Les femmes subissent beaucoup moins cet embrigadement, ce qui fait qu’elles sont extrêmement plus réactives, plus souples, plus libres de penser, de penser juste et d’agir. Les grandes villes chinoises ressemblent-elles aux métropoles occidentales ? Elles ressemblent maintenant à de grandes villes modernes, démesurées, surchargées d’automobiles toutes neuves, d’échangeurs routiers, de centres commerciaux et de gratte-ciel pas vilains, mais toujours très semblables. Il y a encore, ici ou là toutefois, un parc, un temple, une rue traditionnelle restaurée, mais aujourd’hui c’est à se demander s’ils ne servent pas juste à donner bonne conscience au reste… Même si certains résistent, les petites rues et les vieux quartiers prennent de sacrés coups de pelleteuses dans le nez. C’est bien dommage. Vos carnets délivrent des impressions, des observations, jamais de jugements nets et tranchés. Etes-vous devenu « sage » ou « méfiant » ? Ni l’un ni l’autre, je l’espère. Les sages m’ennuient et les méfiants m’exaspèrent ! J’essaie de livrer les choses comme je les vois, comme je les entends. En France – et pas seulement dans la littérature – on nous demande constamment d’avoir un avis sur tout. Même si c’est un peu se donner le beau rôle, ou prendre peut-être moins de risque, je préfère le parti pris beaucoup plus descriptif de la littérature anglosaxonne. Et cette revendication qu’ils affichent sans cesse, du droit pour le lecteur de se faire sa propre opinion, m’intéresse davantage. Ils ouvrent des portes, alors que mai 2010 www.cotemagazine.com What most shocked and surprised you when you first arrived ? Surprised, pleasantly surprised, amazed, disappointed too... that I am every day. But to answer your question, I think l'm always stupefied by that way they have of being sufficient unto themselves and seeing the wider world as very secondary. There's China and there's the rest of the world. I often have the feeling China would happily do without the rest of the world because I sense the country's relationship with it to be awkward and always very forced. Shocked, depressed more than anything else, I of course am when they condemn harshly, imprison on spurious pretexts and to virtually general indifference all those who might possibly prevent them from thinking clearly. What does it mean to be a foreigner in China today ? It means you embody the dictionary definition of a foreigner as an alien, outsider or interloper. The Chinese are truly hospitable but even if you've lived in China for 30 years, even if you speak their language perfectly, even if you have Chinese friends and in-laws, to them you willalways be a foreigner. « When you've nothing to say, quote a Chinese proverb," a friend suggested to you. So is a Chinese person's life ruled by proverbs and beliefs ? It's a great civilisation with its history, customs, proverbs, traditions etc. It deals with all that as best it can. Today's China is very attached to its past. Except when that's a hindrance and then it's brushed under the carpet like dust. It's really amazing to see. « China is led by its daughters," you say. Why ? Chinese men are broughtup to believeit's unbearable to lose face in front of others. In my opinion that's one of their worst handicaps. The women suffer a lot less from that pressure so they're considerably more responsive, more supple, freer to think, to think fairly and to act. Do big Chinese cities look like Western metropolises ? Now they look like big modern cities, huge, crowded with brand new cars, complex road |