Pas si « kawaii » qu’il n’y paraît, les jeunes filles qui peuplent l’univers fantasmagorique d’Aya Takano. Cette artiste japonaise née en 1976 œuvre depuis quelque temps sous la bannière de la compagnie Kaikai Kiki, la société d’art très lucrative fondée par la star du marché Takashi Murakami (dont l’exposition actuelle au Château de Versailles suscite de nombreuses polémiques…). « Kawaii » en japonais signifie « mignon » et désigne d’une manière générale cet art populaire japonais intrigant – les non-Nippons ont beaucoup de mal à en saisir sa valeur intrinsèque – autant prisé des enfants que des adultes, qui met en scène des univers féeriques dominés par le rose et peuplés d’étranges créatures enfantines, dotées d’yeux immenses façon Candy et de minuscules bouches boudeuses… De son passage chez Nintendo, la plus célèbre des compagnies de jeux vidéos au monde, Aya Takano a justement tout appris de la culture kawaii pour en pulvériser aujourd’hui les clichés les plus récurrents, les plus écœurants… Sous le vernis girlie, ne voit-on pas poindre un « japonisme métamorphosé » caractérisé par des personnages hybrides qui rêvent leur futur à travers le présent ? Son style, encore et toujours rebelle à toute définition occidentale, la jeune créatrice – représentée en France par la galerie Emmanuel Perrotin (celle de Murakami itou) – le puise aussi bien du côté de la science-fiction universelle que des mangas, des estampes traditionnelles, du pop art américain, de la culture des mass media que de la pornographie contemporaine… Pour cette première collaboration avec la marque de cosmétique de luxe japonaise Shu Uemura, l’artiste, qui avait déjà créé une série d’imprimés pour son compatriote et styliste Issey Miyake en 2005, signe la collection de maquillage de Noël 2010 Abracadabra Fantasy qu’elle a habillée de symboles cabalistiques et magiques soigneusement réfléchis. On trouve aussi une prédominance du rose, des animaux sauvages, des paysages imaginaires, et des couleurs acidulées… -/This Japanese artist born in 1976 has for some time been working as a member of Kaikai Kiki, the highly lucrative art company setup by art-market star Takashi Murakami, whose present exhibition at the Palace of Versailles is proving extremely controversial. The Japanese word kawaii, meaning cute, is now used to specifically designate the intriguing Japanese popular art form– appreciated as much by adults as by children but whose intrinsic value non-Japanese have considerable difficulty grasping – that revolves around whimsical worlds dominated by pink and peopled by strange childlike creatures with huge Candy-doll eyes and tiny pouting mouths. After learning allabout kawaii culture during a stint at Nintendo, Aya Takano now demolishes its most recurrent and nauseating clichés. Beneath the girly veneer, can't we see the dawning of a "metamorphosed Japonisme" characterised by hybrid figures dreaming of their future through the present ? For her style, which continues to resist Western attempts to define it, this young artist represented in France by the Emmanuel Perrotin gallery (as is Murakami) draws on science fiction, mangas, traditional engravings, American Pop Art, mass media culture and even contemporary pornography. For her first collaboration with Shu Uemura, Aya Takano (who had already created a series of prints for her compatriot, fashion designer Issey Miyake, in 2005) worked on the Christmas 2010 make-up collection namedAbracadabra Fantasy. She has decorated it with cabalistic and magic symbols, used large amounts of pink and featured wild animals, imaginary landscapes and bright sharp colours. D’où vous est venue l’inspiration pour créer cette collection ? Je suis fascinée par les tatouages tribaux pré-XX e siècle que pratiquaient les minorités ethniques comme les habitants de l’île de Pâques ou bien ceux de la période Edo au Japon, formés principalement de lignes géométriques et de formes abstraites. Il m’amusait d’utiliser ces motifs et symboles comme porte-bonheurésotériques. D’où viennent les symboles qui ornent toute la collection ? J’ai vérifié la signification de toutes les formes qui m’attiraient dans le dictionnaire universel des symboles pour m’assurer qu’elles avaient des connotations positives. Comment avez-vous abordé cette première collaboration avec une entreprise de cosmétiques ? J’ai trouvé très intéressant d’être réellement impliquée dans le processus de développement des produits et de pouvoir choisir les formes, les coloris et les matières. Pour ce projet totalement inédit pour moi, j’ai dû travailler uniquement avec des femmes ; nous partagions une sensibilité commune, j’y ai pris un grand plaisir. J’ai trouvé très exaltant de voir mes motifs appliqués sur des modèles kawaii. J’avais toujours rêvé de voir mes créations prendre vie. Quel pouvoir magique aimeriez-vous posséder ? Je voudrais connaître les secrets de la création de l’univers. Aya Takano, when creations come to life Where did you find your inspiration for this collection ? l'm fascinated by the pre-20th-century tribal tattooing, consisting mainly of geometrical lines and abstract shapes, that ethnic minorities such as the Easter Islanders and people in Edo-era Japan practised. It amused me to use these motifs and symbols as esoteric good-luck charms. Where do the symbols decorating the collection come from ? I checked the significance of all the shapes that attracted me in the universal dictionary of symbols to be sure they had positive connotations. How did you tackle this first collaboration with a cosmetics brand ? I found it very interesting to be closely involved in the process of developing the products and to be able to choose the shapes, colours and materials. For this project completely new to me, I had to work with women alone ; we shared the same sensitivity and I thoroughly enjoyed it. I had always dreamt of seeing my creations come to life. What magic power would you like to possess ? l'd like to know the secrets of the creation of the universe. décembre - janvier 2011 www.cotemagazine.com MAGIC BEAUTÉ 103