COTE Genève n°22 novembre 2008
COTE Genève n°22 novembre 2008
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°22 de novembre 2008

  • Périodicité : mensuel

  • Editeur : Les Editions COTE

  • Format : (237 x 300) mm

  • Nombre de pages : 172

  • Taille du fichier PDF : 17,8 Mo

  • Dans ce numéro : numéro spécial égoïste.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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ÉGOÏSTE ART EGOIST 70 L’autoportrait, c’est la mise en représentation de soi-même. « Il présente l’avantage pratique, explique Etienne Souriau dans Vocabulaire d’esthétique (1) qu’on a toujours sous la main son modèle et qu’on ne dépend pas ainsi des autres ; il a l’inconvénient pratique qu’à se voir dans un miroir, on a de soi une image inversée ; il a la difficulté psychique qu’on y est trop directement intéressé pour se voir facilement de manière impartiale. L’autoportrait, surtout quand il est fréquent chez un artiste, est un témoignage du genre d’intérêt qu’on se porte à soi-même. » D’abord simple motif ou signatures apposées sur les enluminures du XII e siècle, l’autoportrait devient un véritable genre pictural dès la fin du Moyen Âge. C’est en effet à la Renaissance, marquée par une orientation nouvelle de l’esprit occidental que l’individu devient en soi un centre d’intérêt majeur. À l’origine, le mythe de Narcisse En 1436, l’humaniste génois Leon Battista Alberti propose dans son célèbre traité De Pictura (De la peinture) une nouvelle manière d’aborder la peinture. Il y présente notamment la première étude scientifique consacrée à la perspective. Pour ce grand homme de culture (peintre, architecte, philosophe), Narcisse – changé en fleur parce qu’il se laissa tromper par un effet d’illusion – peut être considéré comme l’inventeur de la peinture. La figure emblématique de Narcisse s’impose dès lors que l’on suggère la contemplation de soi. Apparu dès le XV e siècle, le miroir devient l’outil indispensable à la réalisation d’un autoportrait. Comme l’explique Itzhak Goldberg (2), « Le drame de Narcisse n’est pas tant de ne pas se reconnaître dans son reflet mais d’aspirer à une impossible fusion avec sa propre image. Rêve impossible, apparemment, mais partagé, on peut le soupçonner, par de nombreux artistes. Rêve où le miroir joue un rôle essentiel, celui d’un allié indispensable et sévère. » Miroir, ô mon beau miroir « Dans ses écrits, poursuit Itzhak Goldberg, Léonard de Vinci conseille aux artistes d’employer le miroir afin de vérifier l’exactitude de leur pratique picturale. Cet instrument permettrait en effet de juger les erreurs dans la composition, et de répondre ainsi à l’idéal d’une peinture conçue comme mimesis visant à offrir des images aussi fidèles à l’objet que son reflet dans un miroir. Garanti de précision, cet outil qui fait le trait d’union entre l’artiste et son « modèle » a tout pour devenir l’emblème de l’image spéculaire de soi-même. Le miroir est aussi à l’origine de notre vision de l’autoportrait comme l’imitation parfaite, « trait pour trait » de son créateur. Mais, c’est vite oublier que la peinture a connu depuis longtemps des reflets « défigurés », à commencer par le fameux autoportrait du Parmesan dans un miroir circulaire et convexe. C’est aussi négliger le fait que si les artistes ont fait un large usage du miroir pour reproduire leur effigie, ils ont souvent, dès la Renaissance, supprimé cet objet de leurs autoportraits. Tout se passe comme si le peintre cherchait à éliminer tout écran qui s’interposerait entre son visage et celui du spectateur, pour créer un face-à-face miraculeux qui effacerait, le temps d’une rencontre privilégiée, les artifices de la représentation. Geste extrême, où la peinture disparaît pour laisser place à l’apparition. » Un nouveau terrain de « je » « Depuis que « je est un autre » et l’arrivée de la psychanalyse, bref, depuis l’ère de la modernité, explique Itzhak Goldberg, il devient difficile, sinon impossible de définir l’autoportrait comme uniquement la quête identitaire de soi. Au contraire même, on peut supposer qu’à partir de ce moment, l’autoportrait, encore plus que le portrait, devient le terrain où le « je » devient jeu, où l’identité présumée devient une autofiction. Les artistes, en effet, ne croient plus à la possibilité de la représentationreflet, de l’imitation telle qu’elle était pratiquée par leurs illustres prédécesseurs. L’infinité de stratégies qu’ils emploient afin de montrer le caractère d’illusion de la reproduction par le retournement de l’autoportrait contre lui-même s’impose comme la seule façon lucide de proposer l’image de soi. novembre 2008 www.cote-magazine.ch Self-portraiture is the portrayal of oneself. « On the practical side it gives the advantage of always having one’s model to hand and so not being dependent on others, » explains Etienne Souriau in Vocabulaire d’esthétique (1), « but the disadvantage that seeing oneself in a mirror one has a reverse image of oneself. The psychological difficulty is that one is too directly involved to easily see oneself impartially. Self-portraiture, especially when an artist practises it frequently, testifies to the type of interest one has in oneself. » Evolving from a simple motif or signature placed on 12th-century illuminations, self-portraiture had by the late Middle Ages become a real pictorial genre but it was during the Renaissance with its radical changes in Western thinking that the individual as such became a major focus of interest. Originating in the Narcissus myth In 1436 the Genoese humanist Leon Battista Alberti proposed a new approach to painting in his famous treaty De Pictura (Of Painting), in which among other things he presented the first scientific study on perspective. This great man of culture (painter, architect and philosopher) believed that Narcissus, who was changed into a flower because he was taken in by an illusion, could be considered to have invented painting. That emblematic Narcissus figure springs immediately to mind whenever the contemplation of self is implied. When the mirror made its appearance in the 15th century it became the indispensable tool for painting a self-portrait. As Itzhak Goldberg (2) explains  : « The tragedy of Narcissus isn’t so much that he didn’t recognise himself in his reflection but that he aspired to an impossible fusion with his own image. An impossible dream obviously but one we might suspect is shared by numerous artists. A dream in which the mirror plays a vital role as an indispensable but severe ally. » Mirror, mirror on the wall... « In his writings Leonardo da Vinci advised artists to use a mirror in order to verify the exactitude of their painting technique, » Itzhak Goldberg continues, « since the mirror made it possible to judge errors of composition and therefore to fulfil the ideal of painting conceived as imitative representation striving to produce images of the subject as faithful as one’s reflection in a mirror. By guaranteeing precision, this tool linking artist and « model » was all set to become emblematic of the looking-glassimage of oneself. The mirror is also at the root of our vision of the self-portrait as a perfect, line by line, imitation of its creator. But this is forgetting that for a very long time painting has been producing « disfigured » reflections, starting with Il Parmigianino’s well-known self-portrait in a convex circular mirror, and also neglects the fact that although artists very frequently used mirrors in order to portray themselves, as early as the Renaissance they often eliminated the object itself from their self-portraits. It would seem as if the painter were seek-ing to do away with any kind of screen that might come between their face and the face of the person looking at the painting, in order to create a miraculous face-to-face situation that might erase the artifices of portrayal to create a privileged encounter. An extreme gesture in which the painting is replaced by the apparition. » New terrain for the I « Since ‘I is another’and the advent of psychoanalysis, since the modern era in fact, it’s become difficult, if not impossible, to define self-portraiture as solely a search for one’s own identity, » I Goldberg explains. « On the contrary in fact, we may suppose that from that moment on the self-portrait, even more than the portrait, has become a terrain in which the I becomes a game and presumedidentity a selffiction. Indeed, artists no longer believein the possibility of reflection portrayal, imitation as practised by their illustrious predecessors. The infinite strategies they employ to demonstrate the illusory nature of reproduction by turning self-portraiture against itself have imposed themselves as the only lucid means of proposing an image of oneself.
THE ESTATE OF FRANCIS BACON – PHOTO CNAC/MNAM, DIST. RMN/PHILIPPE MIGEAT ADAGP PARIS 2008 RMN MUSÉE D’ORSAY/PHOTO GÉRARD BLOT Mais, si ce sujet traverse sournoisement toute la production contemporaine, c’est qu’il incarne à lui seul, volontairement ou non, le questionnement sur le regard, la réflexion sur la réflexion, la mise en abyme du sujet par lui-même. L’artiste se représente lui-même dans l’acte du regard ou, comme le note Michel Tournier, l’autoportrait serait le seul portrait « qui reflète le créateur au moment de l’acte de la création ». Pour aller vite, nous pouvons dire que l’autoportrait, cette image spéculaire, devient spéculation. » (1) P.U.F., Paris, 1990,pp.1161-1162. (2) Itzhak Goldberg est maître de conférence à l’Université Paris X en histoire de l’art et critique dans Beaux-Arts Magazine. Spécialiste du visage dans l’art contemporain, il a publié plusieurs ouvrages et articles sur le sujet. ▲ Gustave Caillebotte (1848-1894), « Portrait de l’artiste », vers 1889. ▲ ▲ Vincent Van Gogh (1853-1890), « Autoportrait », 1889. Francis Bacon (1902-1992), « Autoportrait », 1971. But if this subject insidiously pervades all contemporary artistic production it’s because it in itself embodies, voluntarily or not, questionings about visual perception, reflections on reflection, and the repetition to infinity of a subject by itself. The artist depicts their own person in the act of observing, or as Michel Tournier puts it, the self-portrait might be the only portrait ‘that reflects a creator in the very act of creating’. To sumup, we can say that the self-portrait, the looking-glassimage, turns speculative. » (1) P.U.F., Paris, 1990,pp.1161-1162. (2) Itzhak Goldberg is a senior lecturer in art history at Université Paris X and art critic for Beaux-Arts Magazine. His specialisation is the face in contemporary art, on which he has published several books and articles. novembre 2008 www.cote-magazine.ch RMN MUSÉE D’ORSAY PHOTO HERVÉ LEWANDOWSKI ÉGOÏSTE ART EGOIST 71



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