FEMMES ARTISTES CREATIVE WOMEN 60 Vous avez raison, c’est un vrai débat qui traverse le féminisme. Les femmes ne veulent pas que leur art soit considéré comme « féminin » parce qu’elles veulent subvertir les catégorisations qui leur ont été imposées. Mais, en effet, cette subversion peut aller jusqu’à l’affirmation de celle-ci. Il y a eu une période relativement courte dans les années 70 où les artistes ont brandi leur corps comme sujet principal de leur œuvre. Ce n’était pas une exaltation mais plutôt une façon de mettre en scène des problèmes, de provoquer des questionnements sur l’état féminin, et surtout d’aller contre la logique de l’époque, ce qu’Elisabeth Badinter nous rappelle tous les jours, à savoir que les femmes ont le droit de s’envisager autrement qu’en organe reproducteur. Louise Bourgeois participe-t-elle à cette prise de conscience ? Louise Bourgeois est bien évidemment un porte-drapeau de la cause féministe même si elle s’en est toujours défendu. Dès la fin des années 60, elle met le corps sens dessus dessous, en reproduisant la réalité des organes mais en la transformant aussi. En 67-68, elle produit ses œuvres les plus crues, des organes sexuels ambivalents, sans mise à distance, sans socle ni vitrine, réels ou idéels. Ils sont parfois féminins, parfois masculins, parfois l’un et l’autre. Aujourd’hui, vous affirmez que l’histoire de l’art se confond avec l’histoire des expositions. Qu’entendez-vous par là ? Oui et je le pense de plus en plus. Premier constat, il n’y a plus de mouvements artistiques recensés depuis les années 80. ‘‘ Deuxième constat, on ne parle plus des œuvres autrement que lorsqu’elles sont exposées. La prolifération des expositions est telle qu’aujourd’hui le marché de la culture se concentre principalement sur des événements, des coups médiatiques, qui se fondent avec le mouvement de mondialisation et de « marketisation » de l’art. On se souvient du grand « tour 2007 » qui démarrait par la biennale de Venise, la foire de Bâle, la Documenta de Kassel et le Münster Project, confondant dans un bel élan des biennales, des foires marchandes, des expos, etc. Aujourd’hui, les institutions publiques recherchent des financements privés et de grands collectionneurs n’hésitent plus à construire leurs propres musées… Tout est brouillé. Et les femmes artistes dans tout ça ? Les expositions, l’information, les artistes circulent, augmentant l’impression qu’elles sont plus visibles dans l’art contemporain. Au palmarès 2001 des artistes les plus cotés du magazine allemand Kapital, figuraient quatre femmes sur les dix premiers (dont Louise Bourgeois et un seul Français, Boltanski). Le rapport est quasi le même sept ans plus tard. Comme nous avons constaté que le nombre d’artistes femmes recensées sur la place de Paris est à peu près équivalent à celui des années 30 ! Depuis 2006, on assiste toutefois à une réelle prise de conscience de la production artistique féminine de la part du public, des collectionneurs, des commissaires… qui se disent « mais c’est incroyable ce qu’elles ont fait depuis trente ans ! ». Je pense aux exposévénements de Louise Bourgeois, Annette Messager, Sophie Calle, etc. Est-ce que l’hésitation sémantique qui marque le départ de votre ouvrage – sculpteur/sculptrice, peintre/peintresse – n’est pas la preuve que la discrimination perdure toujours entre les femmes artistes et les hommes artistes ? Absolument. Ces variations sémantiques ne sont pas neutres et résument assez bien le propos de notre ouvrage. Nous avons été frappées par le grand nombre de ces femmes artistes rencontrées qui disent ne plus vouloir marquer la séparation du genre. Quelques-unes veulent toutefois continuer à marquer leur différence en utilisant la féminisation de leur profession. La plupart revendique tout simplement leur droit à être artiste. Point à la ligne. Sans spécifier ni le médium ni le genre. Les choses ont véritablement bougé dans le monde merveilleux des arts ; dans le monde de la réalité, je ne sais pas trop… septembre-octobre 2008 www.cote-magazine.ch EN FRANCE, DANS LES ANNÉES 50-60 QUI CONNAISSENT UNE MODERNISATION BRUTALE ET RAPIDE, LES FEMMES SONT REN- VOYÉES À LA MAISON, CONFINÉES À LA SPHÈRE DOMESTIQUE ET À L’« ÉLEVAGE » DES ENFANTS. You maintain that today the history of art merges with the history of exhibitions. What do you mean by that ? Yes, and I believethat more and more. Point one: no artistic movements have been identified since the 1980s. Point two: we no longer talk about artworks except when they're on exhibition. There's such a proliferation of exhibitions today that the culture market concentrates essentially on events and publicity-grabbing activities that blend in with the globalisation and marketisation movement in art. The issues are blurred. And women artists in all that ? The exhibitions, the information and the artists all circulate, which increases the impression that they're more visible in contemporary art. In the German magazine Kapital’s 2001 list of the most highly rated artists there were four women in the top 10 ; seven years later that ratio is virtually the same. Likewise we can see that the number of female artists on the Paris art scene is roughly the same as in the 1930s ! However, since 2006 we've been witnessing a definite increase in awareness of women artists'work on the part of the general public, collectors, curators etc. l'm thinking about the headline exhibitions on Louise Bourgeois, Annette Messager, Sophie Calle etc. Isn't the semantic differentiation evident at the beginning of your book – sculptor/sculptress etc – proof that discrimination between female and male artists still persists ? Absolutely. This semantic differentiation isn't meaningless and it sumsup what our book is about rather well. We were struck by the large number of female artists we met who said they no longer wanted to use separate masculine and feminine terms, although others still want to continue highlighting the fact they're different by using the feminine formof their profession. However most simply claim their right to be » artists, nothing more, without specifying their medium or gender. Things really have moved forward in the wonderful world of the arts ; in the real world l'm not so sure… * Femmes artistes, artistes femmes – Paris, de 1880 à nos jours, Hazan, 45 €. Aurelie Nemours, Ostie, 1975. Huile sur toile, 80 x 80 cm. FNAC, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris. Dépôt à l’Espace de l’Art Concret, Mouans-Sartoux. © EAC/TOUS DROITS RÉSERVÉS |