1 1 PHOTO SHUTTERSTOCK Je parle tout seul, c’est normal ? Rien de plus banal quedeparfoisparler seul, dans la rue, au supermarché,chezsoi…Pourtant, ces soliloquessurprennent, voireinquiètent.Mais quesepasse-t-il dans nos têtes ? C’est une chose que nous faisons tous, sans vraimentl’avouer : parler toutseul, en nous adressant ànous-mêmes, ou àuninterlocuteur imaginaire. Ces « conversations » peuvent prendre des formes variées, du monologuecontinuaudialoguedélibératif, en passantpar l’auto-motivation des sportifs ou encorel’exclamation du type « que je suis bête ! » C’est une chose très répandue, mais qui sepratiquegénéralement dans un cadredonné,àl’abri des oreilles et desregards. Si quelqu’un nous surprend, s’installe aussitôt une gêne,unsentimentdehonte même. Maiscettepratiqueest-elle pour autant anormale ? Etsurtout, pourquoi en avons-nous besoin ? Clarifier ses idées Si au premier abordleparler avec soiapparaîtridicule,ilprésente en fait de nombreuxavantages. Selon les scientifiques, ce serait même très bon signe surleplancognitif. « Cela nous aide àorganiser nos pensées, planifier des actions, consolider notremémoireetréguler nos émotions », explique Paloma Mari-Beffa, neuropsychologue àl’université deBangor, auPays deGalles. Pour la chercheuse britannique, nous dialoguons tous avec nous-mêmes dans notrefor intérieur. Parler seul àvoixhaute ne serait qu’une extériorisation de ce discours intime. Rien d’anormal donc, tant que vous ne croyez pasqu’une autrepersonne s’adresse réellementàvousdepuis l’intérieurdevotretête ! Augmenter sa concentration Cette pratique serait un héritage del’enfance : parler seul en jouantconstitue en effet une étape importante dudéveloppement humain, qui aide àsesouvenir et apprendre. Une étude menée en TEXTE SUZI VIEIRA 2008 parlepsychologue américain Adam Winsler auprès d’enfants de 5ans amontré qu’ils obtenaient demeilleurs résultatsaux tests de motricitélorsqu’ils détaillaientàvoix hauteles étapes àexécuter. Et ça vaut aussi pour les adultes quis’échinentàmonterunmeuble en kit ! Les propres recherches de Paloma Mari- Beffa l’ontconfirmé:parler àvoixhaute permetdemieux percevoir ce quiest important et augmente notreconcentration. Prendre des décisions réfléchies Mais ce n’est pastout. Cela nous aiderait aussi àcontrôler nos émotions. « La plupart du temps, nous nous adressons ànous-mêmes en disant tu ou il/elle plutôt que je », préciseVictorRosenthal, chercheur àl’EHESS de Paris et auteur de l’ouvrage Quelqu’un àqui parler. Une histoire delavie intérieure (Puf, 2019). « Cela permet deprendre dela distance parrapport ànotrevécu. » Autrementdit, on gagne en objectivité. Atravers ce dialogueavec nous-mêmes, nous ralentissons nos processus de pensée et prenons des décisions réfléchies. Selon ses biographes, Albert Einstein parlait souvent seul… « Notreintérioritébavarde, conclut Victor Rosenthal. C’est comme un atelier d’expérimentationcognitive àl’intérieurduquelonréfléchit àcequi nous arrive, on commente et on imagine des possibilités nouvelles. On tranche des dilemmes. C’est seulementàpartir d’elle quepeut émergerune réflexion personnelle. » ○ 86 Coopération N°48 du 24 novembre 2020 |